Mixité et valeur ajoutée

Julien Grenet, économiste, directeur de recherche au CNRS, professeur associé à l’École d’économie de Paris, est spécialiste des questions de ségrégation scolaire. Il a travaillé sur la mixité sociale dans les collèges et lycées parisiens.

Il estime que si le privé accueillait plus de mixité, il pourrait mieux faire valoir sa valeur ajoutée.

Faut-il privilégier les politiques publiques d’égalité des chances
ou celles de promotion de la mixité sociale?

 

Julien Grenet : L’attribution de moyens supplémentaires aux établissements défavorisés remédie à des situations inégalitaires. La régulation des populations scolaires cherche, quant à elle, à les éviter en influant sur leurs causes. Il y a un équilibre, une complémentarité à trouver entre ces deux politiques, d’autant plus qu’on ne peut pas agir sur le recrutement des élèves dans les territoires dénués de mixité
résidentielle. Les politiques d’éducation prioritaire restent donc indispensables pour accompagner les établissements en difficulté. Néanmoins, il ne faudrait pas rester enfermé dans une logique de remédiation: travailler, lorsque c’est possible, sur la composition des populations scolaires permet de ne pas perdre l’ambition de mixité sociale à l’école et donc celle de la réussite de tous.

 

L’enseignement catholique contribue-t-il suffisamment à cet effort d’éducation prioritaire et de mixité sociale?

J. G. : Certaines situations locales, notamment dans les centres-villes des grandes métropoles, sont aux antipodes de l’accueil de tous promu par l’enseignement catholique, ce qui peut nuire à son image. Même si cela n’est pas vrai partout et rarement aussi caricatural qu’à Paris, le privé scolarise des élèves plus favorisés que le public. C’est une réalité objectivée par des chiffres, de même que la corrélation forte entre origine sociale et réussite scolaire. Les bons résultats du privé ne sont donc pas comparables à ceux du public puisque leur population scolaire n’est pas socialement équivalente. S’il accueillait plus de mixité, le privé pourrait mieux faire valoir sa valeur ajoutée. S’il ne fait pas cet effort d’ouverture, la baisse démographique actuelle et une tendance sociétale à l’entre-soi risquent d’exacerber ce décalage.

 

Il est donc légitime d’associer l’enseignement privé aux politiques publiques conduites dans ce domaine ?

J. G.: L’enseignement privé s’inscrit déjà dans des politiques incitatives qui modulent l’allocation de moyens en tenant compte de la composition sociale des populations scolaires. C’est la logique des CLA. C’est aussi ce qui est pratiqué à Paris et par le département de Haute-Garonne, où les forfaits éducatifs sont proportionnés à la mixité sociale des établissements. Pour plus d’impact, on pourrait aller jusqu’à moduler aussi le forfait d’externat selon des règles équivalentes. De même, il conviendrait d’amener le privé à réguler la composition de sa population scolaire, là où cela est possible, car ce levier a des effets plus massifs et immédiats que ceux des politiques de remédiation de l’éducation prioritaire.

 

Quels leviers d'action internes en la matière ?

J. G.: Les établissements privés pourraient, par exemple, généraliser la modulation des frais de scolarité en allant jusqu’à introduire une part de gratuité, comme le font certains. Ils pourraient aussi centraliser leur recrutement via une plateforme spécifique sur un territoire donné. Cela permettrait à l’enseignement privé d’équilibrer les populations scolaires entre ses établissements et de se fixer des règles minimales, comme un taux d’élèves boursiers inscrits qui reflète leur proportion parmi les candidatures qu’il reçoit. Cette solution, interne, aurait le mérite d’apporter de la transparence dans les procédures de recrutement et de limiter la concurrence au sein du privé.
À l’extrême, on aurait l’intégration du privé dans les procédures d’affectation préexistantes, comme pour Parcoursup : chaque établissement effectue son propre classement parmi les candidatures mais s’engage à respecter des quotas sociaux qu’il s’auto-assigne et dont il rend compte à la puissance publique.

Interview parue dans le dernier numéro de la revue Enseignement catholique actualités, qui consacre son dossier à la participation de l'Enseignement catholique à l'éducation prioritaire. il s'intéresse notamment aux six établissements ayant expérimenté l'an dernier les Contrat d'accompagnement locaux, CLA.

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