Liberté et contrat d’association
Les établissements catholiques se réfèrent à l’Évangile tout en étant associés à l’État par contrat. Au nom de cette spécifié, ils accueillent tous ceux qui le souhaitent, dans le respect absolu de la liberté de conscience de chacun, tout en proposant, sans imposer, un message chrétien et une annonce explicite de la foi.
L’association à l’État pour la plupart des établissements privés traduit la volonté de participer au système public d’éducation. Alors que les courants libéraux souhaiteraient privatiser une partie significative de l’offre de formation, que s'ouvrent de plus en plus d’instituts lucratifs vantant leurs performances, que les parents pourraient souhaiter acheter des produits de formation comme tout autre marchandise, l’association à l’État par contrat dit la volonté de s’inscrire dans la recherche du bien commun et de refuser de se situer comme un prestataire répondant à des demandes consuméristes. L’école doit rester ce creuset du vivre ensemble, de la construction d’une culture commune, permettant de faire société.
Associé mais autonome
Simultanément, l’association à l’État par contrat dit une conception de la recherche d’unité qui ne soit pas uniformisante, une conception de contribution au service public qui conjure les risques du monopole d’État. Il s’agit aussi de travailler à une utile complémentarité, à une saine émulation pour éviter une concurrence stérile. Des parents, des associations craignent que le contrôle de l’État n’empêche une réelle liberté pédagogique. L’Enseignement catholique a rappelé, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la loi Debré, les garanties apportées par le contrat en matière de liberté : « Il est clair que le contrôle pesant sur les établissements d’enseignements privés est un contrôle limité aux cas et modalités prévues par les textes régissant les relations entre l’État et l’établissement pour l’exécution de sa mission de service public. Tout ce qui ne relève pas du contrôle de l’État relève de la libre appréciation de l’établissement et des organes qui le représentent. C’est à partir de ce raisonnement que l’on peut déduire l’autonomie dont disposent les établissements associés dans l’exercice de leur mission de service public et qui permettent de mettre en œuvre leur caractère propre. »
La culture de l’association n’est donc pas une soumission, inféodation
mais requiert au contraire l’exploration de toutes les espaces de liberté qui laisse la loi.
D’autres parents, d’autres associations craignent que l’association à l’Etat n’empêche l’affirmation de l’identité catholique des établissements. Nous avons rappelé l’impératif de l’ouverture à tous, qui fait, bien entendu, qu’une école catholique n’est plus confessionnelle si l’on désigne par ce terme une école dont la totalité de l’encadrement et de l’animation est assurée par des catholiques pratiquants, s’adressant à des élèves tous baptisés et catholiques pratiquants. Mais cette ouverture à tous affirmée par l’école catholique comme un « choix pastoral » ne doit pas contraindre l’expression de la tradition éducative propre à l’Église, traduite dans le projet de chacun des établissements. Selon l’expression souvent employée par Paul Malartre, ancien secrétaire général de l’Enseignement catholique « une école catholique n’est pas une catholique par son recrutement mais par son projet. »
Ainsi, le projet des établissements catholiques se réfère à l’Évangile et à l’Enseignement de l’Église mais il est aussi un établissement d’enseignement associés à l’État par contrat en vertu de la loi de 1959.
Liberté de l’Institution et liberté de la personne
Le contrat lie les établissements catholiques d’enseignement à l’État laïc. Le contrat doit permettre aux deux partenaires d’exprimer ce qui les fonde. L’État doit faire valoir la laïcité qui exige la liberté de conscience et le libre accès de tous aux établissements associés par contrat ; l’Église doit faire reconnaître les établissements catholiques d’enseignement comme un espace où la foi chrétienne peut s’exprimer publiquement. L’article 1 de la loi Debré qui concerne bien entendu les établissements privés dans leur ensemble, et non les seuls établissements catholiques, précise ces obligations réciproques : « Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus ci-dessous, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinions ou de croyances y ont accès. » Il appartient bien entendu à chaque établissement privé de définir son « caractère propre ».
Liberté d’exposer les valeurs chrétiennes
L’Église de France et les responsables de l’enseignement catholique français s’expriment régulièrement pour définir le caractère propre des établissements catholiques d’enseignement. En 1969, les évêques de France présentent l’originalité de l’école catholique comme le fait de « lier dans le même temps et dans le même acte l’acquisition du savoir, la formation de la liberté et l’éducation de la foi : elle propose la découverte du monde et le sens de l’existence » (Art 65). Ouvrant la démarche d’assises en 2001, Paul Malartre emploie à nouveau la même expression « lier » : « En fidélité à ses sources et à ce qui a marqué son histoire, [l’enseignement catholique] se veut […] utile en liant dans une même démarche l’enseignement, l’éducation de toute la personne et la proposition d’un sens de la vie et de la foi. » (Art. 66) Dès lors, l’établissement catholique associé par contrat apparaît comme un espace où peuvent s’articuler le respect absolu de la liberté de conscience de la personne et la liberté de l’Institution de déployer son projet, dès l’instant où le projet se fait invitation et s’interdit toute forme de contrainte : « L’école catholique ne peut pas renoncer à la liberté de proposer le message et d’exposer les valeurs de l’éducation chrétienne. […] Il devrait être clair à tous qu’exposer et proposer n’équivaut pas à imposer. »
Responsabilité éducative du christianisme
Certains s’interrogent néanmoins sur l’exact projet de l’enseignement catholique. Le maintien de cette institution ne serait-il pas une tentative de « reconquérir du terrain » lorsque l’Église institutionnelle s’affaiblit, et que certains repères catholiques s’effacent ? Ne serait-ce pas alors, finalement, une menace, encore, pour la liberté de conscience ? Nous pensons au contraire que partager les valeurs chrétiennes peut contribuer à fonder la liberté de chacun. Bien des philosophes et des sociologues soulignent la fragilisation des démocraties contemporaines, en Europe, liée à l’éclatement des repères communs. « L’État laïc lui-même ne dispose pas du droit de dicter un fondement commun ultime aux valeurs communes. C’est leur faiblesse et leur grandeur. Faibles, elles le sont puisque le pouvoir politique ne peut plus imposer l’adhésion aux valeurs au nom du sacré et du divin. Grandes, elles le sont parce qu’elles dépendent de la libre reconnaissance, quant à leur ultime légitimité. » Dès lors, la société laïque et démocratique peut attendre des convictions spirituelles, religieuses et philosophiques une aide pour fonder les valeurs communes nécessaires. « Elles doivent offrir aux citoyens qui le veulent l’occasion de vivre-ensemble. Aucune religion ne peut s’approprier ces valeurs. Mais la pensée démocratique peut attendre des grandes options spirituelles et philosophiques que, détenant la capacité de fonder ultimement les principes, elles s’emploient à aider l’éducation de citoyens profondément assurés de la légitimité des principes et des valeurs de notre vivre-ensemble. » Pour s’inscrire dans la société laïque contemporaine, l’Église est alors appelée à ce que Marcel Gauchet nomme le « civisme chrétien », c’est-à-dire à « proposer une version de l’ensemble social conforme aux valeurs religieuses mais qui soit respectueuse, simultanément, du caractère non religieux de cet ensemble ». Le christianisme n’en a donc pas fini de sa responsabilité éducative. Les évêques en appellent à un engagement qui soit à la fois spirituel et social : « Il ouvre l’esprit à des savoirs nouveaux, il permet de s’approprier un héritage, il contribue à la construction des personnes, et, en même temps, il donne à des jeunes de se situer dans le monde et dans la société en y prenant leur place à partir de choix réfléchis avec d’autres. »
Bien entendu ce travail ne requiert pas d’adhérer à la foi catholique : « Cette inscription qui offre à l’humanité la fécondité de la Source, contribue à l’accomplissement de l’humanité, au service de tous, mais il n’a pas pour objet de rendre “chrétien” tel ou tel. » Cet appel doit bien entendu rejoindre tous les chrétiens pour s’inscrire dans la société, et tous les enseignants, qu’ils exercent dans l’enseignement public ou dans l’enseignement catholique. Mais la place de l’enseignement catholique reste, à cet égard, spécifique, car elle offre un cadre institutionnel à la formation d’un « civisme chrétien » : « La spiritualité chrétienne est liée à des institutions. Elle n’est pas un parfum qui flotterait dans l’air. Elle s’inscrit dans une histoire, elle fait partie d’une tradition et elle a sa place à l’intérieur de ce travail d’éducation qui est le terrain spécifique de l’enseignement catholique. »
Liberté de proposer la foi
Il est un domaine où la question de la liberté se pose pour notre société, et tout particulièrement dans l’enseignement catholique, c’est la proposition de la foi. Faut-il prendre la parole ou plutôt se taire, avec l’intention de laisser chacun libre de ses choix ? C’est assurément là une illusion du monde contemporain de penser qu’un choix peut s’exercer s’il n’est pas éclairé par une connaissance préalable, et s’il n’est pas structuré dans le cadre d’une réponse à une invitation. Une liberté, sans être contrainte, a besoin d’être éclairée. « La liberté religieuse, l’une des libertés fondamentales, réaffirmée par le Concile Vatican II, ne se traduit pas dans le silence et le mutisme. Elle s’exerce en réponse à une parole adressée, à une invitation reçue. […] loin de contraindre, l’annonce de l’Évangile suscite les libertés. »
La foi chrétienne s’est longtemps transmise comme un héritage collectivement assumé dans beaucoup de familles et dans la société au sein de laquelle l’Église était fortement présente. Ces médiations traditionnelles d’un environnement porteur se sont progressivement affaiblies. Dès lors, le choix de croire est un engagement personnel qui requiert un véritable « acte de foi ». C’est ce dont témoignent fortement les catéchumènes. Mais pour que cet acte de foi libre soit possible, la responsabilité des chrétiens est grande, appelés qu’ils sont à témoigner de leur foi. C’est la dynamique de la pastorale de la proposition : « Nous avons à accueillir le don de Dieu dans des conditions nouvelles et à retrouver en même temps le geste initial de l’évangélisation : celui de la proposition simple et résolue de l’Évangile du Christ. » La même Lettre aux catholiques de France précise plus loin : « Si, de tout temps, l’annonce de l’Évangile fut exigeante, c’est qu’elle doit se faire témoignage. Témoignage de la source vive qui a changé notre vie et que nous osons proposer à la liberté d’autrui, mais aussi témoignage en actes qu’une vie est réellement transformée lorsqu’elle propose une telle foi. Les premières communautés chrétiennes ne se sont pas contentées d’annoncer le Christ ressuscité, elles ont attesté aussi la puissance transformatrice de la foi et l’ont incarnée dans un agir dont la référence était la pratique de Jésus. »
Une proposition explicite de la foi,
respectueuse de la diversité des cheminements
Il est donc une parole nécessaire aujourd’hui qui, sans risquer le prosélytisme indiscret, permet aux chrétiens de rendre compte de leur espérance et d’inviter. Cet appel s’adresse à tous les éducateurs chrétiens, quel que soit leur lieu d’exercice, mais interroge plus fortement l’enseignement catholique : « Je plaide, avec d’autres, pour que l’engagement éducatif des catholiques soit revalorisé pour lui-même et qu’il apparaisse comme un domaine privilégié de l’évangélisation. Car il s’agit de donner à des enfants et à des jeunes, et aussi à des adultes, des raisons de croire, en montrant de façon méthodique, que la foi chrétienne n’est pas un cri, ni un sentiment enfermé dans le secret du cœur, mais qu’elle porte en elle une capacité de comprendre le monde, les autres et soi-même, dans la lumière de Dieu. »
Cette attention à la proposition de la foi reste essentielle pour le déploiement du caractère propre, si l’on y travaille avec la « douceur » à laquelle l’Évangile nous appelle. Il est fondamental d’être particulièrement attentif à la diversité des cheminements des enfants, des jeunes et des adultes accueillis dans une école ouverte à tous. « L’évangélisation et la catéchèse devront donc s’accompagner d’une grande attention à l’humain, à ses potentialités et à ses faiblesses, à ses blessures, à ses joies. Et elles devront savoir ne jamais juger, mais corriger et orienter avec fermeté et douceur. Cela est essentiel en particulier devant des jeunes qui doivent trouver le temps et la manière de se dire, de dire leurs problématiques humaines, pour pouvoir accéder à une adhésion à la parole et à la personne de Jésus. La parole de Dieu, dont l’humanité de Jésus de Nazareth a fait le récit, exige de ceux qui l’annoncent qu’ils sachent la vivre et la transmettre comme une réalité humanisante, capable d’ouvrir un horizon et de créer sens dans des situations humaines concrètes. »
L’école associée à l’État par contrat permet la reconnaissance de la liberté d’enseignement. Les parents sont ainsi libres de choisir l’école de leurs enfants ; les enseignants sont ainsi libres de choisir le réseau d’établissements dans lequel ils veulent enseigner ; les établissements sont ainsi libres de déployer leur caractère propre. Les établissements catholiques d’enseignement doivent être à l’aise pour vivre la liberté et pour éduquer à la liberté puisqu’ils fondent leur projet sur l’Évangile qui, sans cesse, suscite les libertés.