Portrait d’un parent d’élève engagé : Vincent Pavan

Vivre la fraternité au quotidien. C’est la voie exigeante qu’a choisie Vincent Pavan en devenant président de l’Apel d’une école accueillant 92 % de familles musulmanes, dans le quartier populaire de Belsunce à Marseille.

 

Par Aurélie Sobocinski

Enseignant-chercheur et père de deux enfants, Vincent Pavan est depuis cinq ans président de l’Apel de l’école Notre-Dame-Saint-Théodore à Marseille.
Enseignant-chercheur et père de deux enfants, Vincent Pavan est depuis cinq ans président de l’Apel de l’école Notre-Dame-Saint-Théodore à Marseille. ©Aurélie Sobocinski

Si c’est « un peu par hasard » qu’il a inscrit ses deux enfants à l’école Notre-Dame-Saint-Théodore, à Marseille, c’est « par conviction » que Vincent Pavan est devenu le président de l’Apel (association des parents d’élèves de l’enseignement libre) de cette école. Par passion même : celle du goût de l’autre et d’une mixité vécue au quotidien dans ce petit établissement du centre-ville, au cœur du quartier très populaire de Belsunce, qui accueille parmi ses 180 élèves, plus de 90 % d’enfants de familles musulmanes.
« Ayant acheté un appartement à proximité, nous avons simplement fait le choix de l’école du quartier », explique cet enseignant-chercheur de 39 ans, originaire de Franche-Comté, et installé dans la cité phocéenne depuis cinq ans. Simplement ? « Les raisons étaient au départ essentiellement pratiques », ajoute ce « catholique de culture, pas spécialement pratiquant ». Parmi elles, ont assurément joué « la taille familiale de Saint-Théodore comxparée à celle de l’école publique voisine, la proposition également d’une garderie le soir alors que nous travaillions tous les deux avec ma compagne ».
Renseignements pris auprès du directeur, la découverte du projet de cet établissement pas comme les autres a été décisive. « Ici, ce n’est pas un catéchisme classique qui est proposé et vécu, mais un rapport très culturel et concret à la religion. L’interreligieux a une forte place, ce qui permet à chacun, musulman ou catholique, de se sentir accueilli », décrit Vincent Pavan. Cette volonté d’accueil et de partage correspondait précisément à une envie familiale « de ne pas céder à la tentation de l’entre-soi mais de vivre jusqu’au bout cette démarche de mixité au sein du quartier ».

« Je veux faire entrer les parents dans l’École »

Un acte citoyen, « sans militantisme aucun », que ce fils d’enseignants en zones sensibles, engagés à ATD Quart Monde, au Secours catholique et à Amnesty International, a façonné et mûri au fil des mutations professionnelles de ses parents, d’une cité à une autre. « Je sais que cette expérience n’est absolument pas pénalisante en matière d’études et de réussite, bien au contraire », insiste-t-il, aujourd’hui enseignant de mathématiques à Aix- Marseille Université.

À son arrivée à l’école Notre-Dame-Saint-Théodore en 2010, le jeune père de famille a d’abord cotisé sans connaître l’Apel. Dans cette école familiale, sans problème ni violence, « les parents, de conditions souvent très modestes, ont en commun une réelle attente et un intérêt pour l’École, mais leur rapport avec l’institution reste difficile. Ils se sentent souvent très intimidés et sans les ressources nécessaires pour entrer en contact avec les enseignants et s’impliquer dans la vie de l’établissement », explique Christophe Ranguis, le directeur. Faute de candidat pour présider l’Apel de l’école – une dizaine de familles à l’époque –, le maître de conférences, très libre dans l’organisation de son temps professionnel, décide de se présenter, dès 2011, « par devoir ». « À un moment il faut aussi savoir donner de sa personne pour que les structures collectives auxquelles on croit puissent fonctionner », estime-t-il. Pour le jeune président de l’Apel, la priorité aujourd’hui consiste à « porter la parole de ces familles éloignées de l’École ». Présent presque quotidiennement à la sortie des classes ainsi qu’à toutes les réunions parents-enseignants, Vincent Pavan attache une grande importance à ce que disponibilité, écoute et pragmatisme guident son action.

« Mon rôle est de faire entrer les parents dans l’École, les mamans surtout, qui sont souvent les plus présentes, mais aussi les papas, petit à petit », explique ce fervent défenseur du partage des rôles familiaux en matière d’éducation. Soucieux de ne pas effrayer par trop de formalisme et de ne mettre en difficulté personne, le président de l’Apel a opté pour une méthode des petits pas et d’adaptation constante. Non sans succès, après avoir lancé un accueil thé et petits gâteaux le jour de la rentrée.

Une tradition de dialogue

Des goûters ont été aussi initiés depuis deux ans à l’occasion des fêtes de Pâques et de l’Aïd, avec le soutien de la direction de l’école et de l’Institut catholique de la Méditerranée. En réunissant de façon conviviale parents et enseignants, « le but est d’aider les familles à apprivoiser l’École, d’échanger et d’établir la confiance – loin des stigmatisations dont elles souffrent dans la société. Elles sont accueillies telles qu’elles sont, dans le respect de leur religion et nous partageons l’essentiel : vouloir le meilleur pour nos enfants », insiste le président au regard pétillant.

C’est ainsi que pour aider à la transformation du béton gris de la cour de récréation en une jolie fresque bariolée, ce « novice » de l’action publique n’a pas hésité à aller démarcher artistes et financeurs. Il s’est aussi démené pour décrocher les subventions nécessaires à l’équipement de la toute nouvelle salle informatique de l’école et a obtenu du CRDP (centre régional de documentation pédagogique) voisin le prêt de sa salle de théâtre pour accueillir le spectacle de fin d’année... Cette année, son objectif est d’obtenir une bibliothèque et une sortie d’école aménagée et sécurisée « digne de ce nom ».

« Un héros du quotidien »

« Il y a tant de besoins dans ce quartier ! On ne peut pas toujours donner aux mêmes et laisser les autres dans le dénuement ! », s’exclame l’indigné qui retrouve, dans cette action auprès des plus démunis, le cœur de la doctrine sociale de l’Église. « J’ai juste envie de dire haut et fort que cela se passe bien ici ! Mais je suis aussi convaincu que si cela marche, c’est parce qu’il y a une tradition de dialogue à Marseille. Sans en faire un modèle, je suis heureux d’appuyer cette démarche localement », pré-cise-t-il. À Saint-Théodore, en tout cas, son combat fédère : depuis l’an dernier, l’Apel compte environ 70 familles membres sur 130...

Un parent d’élève comme on en rêve ?

« Dans le paysage mosaïque de Marseille tellement façonné par l’altérité, sa démarche pourrait ressembler à celles de beaucoup d’autres et pourtant, peu de parents la vivent avec autant d’engage- ment que lui. Quelque part, c’est un héros du quotidien », souligne Isabelle de Marans, secrétaire de l’Apel de Marseille, dont il a récemment rejoint les rangs en tant que trésorier.

Au sein même de l’école, où l’équipe éducative a longtemps eu tout à gérer elle-même, l’arrivée du nouveau président a quelque peu bousculé les lignes. « Rien ne lui semble compliqué ou infaisable, salue pour sa part Christophe Ranguis. Quand on a à côté de soi quelqu’un qui se mobilise avec autant d’enthousiasme, forcément ça incite à s’investir encore plus », poursuit le directeur de Notre-Dame-Saint- Théodore, qui avoue devoir modérer parfois les ardeurs de son président d’Apel. Aux côtés des enseignants de l’école, le maître de conférences met

Aller plus loin dans l’accueil de la pauvreté

Depuis cette année, Vincent Pavan a rejoint la commission nationale sur l’accueil de la pauvreté à l’École, mise en place par l’Apel suite à la signature d’une convention avec ATD Quart Monde. « À Marseille, la pauvreté est souvent liée aux origines religieuses, explique le président de l’Apel de l’école Notre-Dame-Saint-Théodore à Marseille qui compte, parmi ses élèves, 92 % d’enfants musulmans. L’objectif de ce groupe de travail est d’essayer de comprendre ce qui se passe dans les écoles où existe la pauvreté et comment, à partir du savoir-faire d’ATD Quart Monde, on peut agir ensemble pour l’accueillir concrètement. » AS
un point d’honneur à ne jamais intervenir sur le plan pédagogique. « Il est vrai que je peux faire peur avec mon franc-parler. C’est aussi mon rôle de monter au créneau sur des projets importants et difficiles mais j’essaie sin- cèrement de trouver la juste distance pour travailler main dans la main et faire avancer les choses.»

Pas du genre à crier victoire trop vite, Vincent Pavant sait que le travail à mener auprès des familles est de longue haleine. « Il reste difficile aujourd’hui de mobiliser les parents sur les questions plus directement liées à la vie à l’école ou l’éducation », reconnaît celui qui cumule souvent encore les rôles de président, secrétaire et tréso- rier. Il a aussi rejoint le groupe national sur l’accueil de la pauvreté à l’École. Cela tombe bien : son petit dernier venant tout juste d’entrer en maternelle, Vincent Pavan s’accorde, pour ce combat, le luxe du temps.

 

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