L’homme augmenté : pour et contre
Lors d’une journée d’étude organisée par le Centre catholique international de coopération avec l’Unesco (CCIC) et l’Académie catholique de France, le 4 mai dernier à Paris, des experts de différentes disciplines se sont demandé comment concilier « grandeur de l’Homme et homme augmenté ».
Pour comprendre pourquoi on parle d’ « homme augmenté », il faut avoir en tête les trois cycles d’innovation qui se sont succédé depuis les années 1980, a souligné d’emblée Marie-Hélène Parizeau, présidente de la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies (Comest) de l’Unesco, le 4 mai dernier au Centre Sèvres, à Paris. En ouverture du colloque « Puissances technologiques et éthique de la finitude humaine », la philosophe canadienne a évoqué : « le cycle des biotechnologies », avec le début des OGM, du clonage animal et du décryptage du génome humain ; « le cycle des nanotechnologies » marqué par une convergence disciplinaire – les NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, technologies de l’information et sciences cognitives) qui permettent de développer les potentialités humaines ; et « le cycle de l’intelligence artificielle » qui conduit à remplacer les hommes par des machines plus performantes. Or il est aujourd’hui impératif de mesurer l’impact de ces innovations sur notre vie privée et publique et d’instaurer une régulation étatique, a-t-elle expliqué. Une éthique est en effet nécessaire, a poursuivi Frédéric Alexandre, chercheur en informatique, en opérant une distinction entre les « intelligences artificielles faibles », (comme le GPS ou le traducteur automatique) qui rendent la vie plus facile et les « intelligences artificielles fortes » qui visent à imiter l’ensemble de nos capacités. « Mais veut-on vraiment aller jusque-là ? », s’est-il interrogé.
Le modèle du cyborg invulnérable
Pour faire réfléchir les chercheurs sur ces enjeux anthropologiques, le père Thierry Magnin, recteur de l’Université catholique de Lyon, a créé une équipe de « philosophes embarqués » qui échangent avec les biologistes et les biotechnologistes de l’Inra et l’Inserm. « Je suis un technophile vigilant, prêt à dire oui à ce qui est au service de l’humain », a déclaré le théologien. Mais il a mis en garde contre l’envie de « maîtriser toute forme de fragilité en allant vers le modèle du cyborg invulnérable », à un moment où l’homme est tenté d’ « être le designer de sa propre évolution ».
Autre regard avec le professeur François Desgrandchamps, chirurgien urologue, qui a souligné combien l’intelligence artificielle bouscule actuellement la médecine. L’analyse robotisée d’images, par exemple, se révèle plus performante que l’œil humain pour détecter un mélanome ou un glaucome. Et la plateforme Watson d’IBM qui croise les données d’un malade et les informations médicales disponibles, établit un diagnostic plus sûr que celui d’un médecin.
Téléchargez ici le texte de Thierry Magnin, recteur de l’université catholique de Lyon
Mais l’intelligence artificielle ne signe-t-elle pas la fin de l’intuition qui a permis tant de découvertes, la fin du secret médical, voire celle des médecins ? Ces peurs vis-à-vis des conséquences possiblement néfastes des progrès de la science ont été partagées par Hans Jonas dans son essai Le Principe de responsabilité, a rappelé le père Philippe Capelle-Dumont, président de l’Académie de catholique de France, co-organisatrice de cette rencontre. D’où la nécessité de « fonder une éthique de la décision sur notre ignorance » car l’humain est souvent maîtrisé par la technique qu’il croyait maîtriser. Parmi les autres regards proposés : le financier Pierre de Lauzun a souligné les enjeux économiques qui sous-tendent ces recherches et les orientent, suite à l’incroyable réussite des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) ; puis le philosophe ivoirien Augustin Dibi Kouadio a développé l’idée que l’homme, en s’augmentant lui-même, a perdu le sens de la transcendance et se croit tout puissant. Enfin, deux écrivains ont dénoncé un « art transhumaniste » au service de la perfection pour Christiane Rancé et une augmentation qui aboutit à une réduction de l’homme pour François-Régis de Guenyveau.
Il revenait à Christine Roche, présidente du CCIC à l’origine de cette journée, de conclure ces travaux qui feront l’objet d’une publication, en annonçant qu’ils seront présentés à l’Unesco, le Centre catholique international ayant à cœur de continuer à « donner du sens à l’aventure humaine ».
Sylvie Horguelin
-Le Centre catholique international de coopération avec l’Unesco (CCIC) est une plateforme regroupant une quarantaine d’ONG qui portent un message enraciné dans l’espérance évangélique. Parmi elles : l’OMAEC (les anciens élèves de l’enseignement catholique), l’UMEC (les enseignants catholiques), la FIUC (les universités catholiques), les Frères des Écoles chrétiennes, les Frères Salésiens de Don Bosco…
Site : www.ccic-unesco.org
-L’Académie catholique de France, fondée en 2008, organise des conférences, publie des ouvrages… pour enrichir la réflexion sur les questions fondamentales de notre temps.
Site : www.academiecatholiquedefrance.fr