Orientation : vers un changement de paradigme
Alors qu’à l’international, des politiques globales et continues s’esquissent dès le primaire, la problématique de l’éducation à l’orientation reste mal connue en France. C’est ce qu’a montré la dernière conférence de comparaisons internationales organisée par le Cnesco sur le sujet, les 8 et 9 novembre derniers à Paris.
Par Aurélie Sobocinski
Dernier baroud d’honneur pour le Cnesco ? Ce conseil national indépendant mis en place par la loi de refondation de l’école de Peillon en 2013 pour l’évaluation du système scolaire, devrait en effet être profondément rénové en janvier par la future loi Blanquer.
A l’occasion de la conférence de comparaisons internationales qu’il consacrait à l’éducation à l’orientation les 8 et 9 novembre derniers au CESE (conseil économique social et environnemental) à Paris, le propos liminaire de sa présidente Nathalie Mons, rappelant la qualité de la méthode d’évaluation du Cnesco pointée récemment encore par un rapport parlementaire, évoquait l’évolution annoncée: « Remplacé par un nouveau conseil davantage orienté vers l’évaluation des établissements, il nous est assuré par le ministre que l’activité du Cnesco survivra dans un cadre universitaire. Les enjeux sont très forts. On ne peut se passer d’une évaluation indépendante de l’École », a souligné la chercheuse, avant d’en venir à la thématique de ces deux journées : « Faut-il être orienté ou faut-il que chaque jeune sache s’orienter ? » C’est la question que se sont posées quelques 300 participants -enseignants, chefs d’établissement, inspecteurs, professionnels de l’orientation, représentants de parents, syndicats, associations...
Alors que la réforme du lycée appelle les équipes éducatives à un effort inédit en termes d’accompagnement des jeunes à l’orientation, la réponse à la question ne laisse plus l’ombre d’un doute et appelle un véritable changement de paradigme au sein des systèmes éducatifs, en France comme ailleurs... « On passe aujourd’hui d’un conseil ponctuel accordé à certains à une politique ambitieuse d’équipement intellectuel de l’ensemble des jeunes dans leurs choix d’orientation, avec des enjeux d’équité très forts dans l’accompagnement proposé. » Cette éducation à l’orientation peut-elle prendre en compte les évolutions des métiers sans verser dans l’adéquationnisme, soit une vision purement utilitaire de la formation ? Quelles compétences nouvelles doit-elle aider à développer ? Et qui au sein des équipes doit en porter la responsabilité ? Pour relever le défi, chaque pays fait valoir une approche (et des moyens) spécifiques.
L’enjeu de l’égalité des chances
Au Royaume-Uni et en Australie, l’effort porte sur l’élévation et la diversification des aspirations des jeunes qui intervient dès le primaire et sollicite l’engagement parental (rencontres en maisons de quartier, portes ouvertes pour les familles, visites à l’université, summerschool), avec pour objectif d’augmenter leur accès à l’enseignement supérieur (programme AimHigher), selon Jules Donzelot, sociologue à l’EHESS.
Constatant les limites des mesures d’accompagnement de type académique, toutes les universités anglaises se sont dotées, depuis 2005-2010, de ce programme d’égalité des chances et pilotent les acteurs locaux intervenant dans les établissements, grâce à des équipes de professionnels dédiées, le relais de nombreux étudiants ambassadeurs, et un budget total annuel investi d’un milliard de livres.
En Corée du Sud, la politique est directement axée sur l’intégration des jeunes dans le marché du travail et leur capacité d’évolution en son sein, a expliqué Jee-Yeon Lee, directrice du centre coréen de recherche pour le développement de l’orientation (KRIVET). Le droit des élèves à l’orientation n’a été reconnu qu’en 2009 au sein du système éducatif et se travaille tout au long de la scolarité, assorti de la création d’un corps d’enseignants spécialisés dans l’orientation dont la matière est devenue obligatoire au programme et de la mise en place depuis 2013 d’un semestre « libre » de découverte de la vie professionnelle pour tous les élèves.
Au Québec, souvent cité en exemple en France, le concept d’« école orientante » développé depuis 15 ans « cherche à faire de l’orientation l’affaire de tous les acteurs et partenaires de l’école dans une visée de réduction des inégalités », a rappelé Annie Pilote de l’université de Laval. « Il ne s’agit pas d’un outil de sélection. L’idée est celle d’une démarche concertée et partagée, les enseignants étant invités à l’intégrer dans leur discipline et à collaborer avec des conseillers d'orientation installés dans les établissements. » Mais le bilan est en demi-teinte : une école sur 4 et la moitié des établissements du secondaire ont adopté à ce jour une réelle planification en la matière. En cause : des enseignants qui peinent à s’impliquer notamment parce qu’ils sont privés du soutien, pourtant décisif, des conseillers d’orientation, dont les effectifs sont en baisse (un professionnel pour 2000 élèves aujourd’hui).
Cette question de la répartition des rôles, des responsabilités et des ressources en matière d’éducation à l’orientation fait largement écho au débat français, note Xavier Nau, membre du Cnesco et du CESE à l’origine d’un récent avis sur l’orientation des jeunes. « L’enjeu est de faire de l’orientation l’affaire de tous les professeurs et en même temps que celle-ci soit pilotée par des « chargés d’ingénierie» qui assurent le lien entre les acteurs éducatifs voire les forment, mais aussi celui avec le monde du supérieur et de l’emploi. Là où des politiques publiques fortes d’éducation à l’orientation semblent s’être esquissées à l’international, la France semble aux balbutiements d’une politique globale et plus seulement de personnels ou d’institutions dédiées. »
Pour aller plus loin
L’orientation des jeunes, Laure Delair et Albert Ritzenthaler, avril 2018.