Les profs d’Ile-de-France en grand oral
Comment faire de la parole un objet d’enseignement, comme y invite la nouvelle épreuve orale du bac, mais aussi un levier éducatif qui favorise le collectif et le dialogue. C’est l’ambitieux programme d’une session de formation proposée par l’Isfec Afarec début juillet 2019.
Société de la cacophonie et école de la parole ? La troisième session d’été de l’ISFEC AFAREC Ile de Franc, organisée à Paris, les 4 et 5 juillet derniers, a invité les enseignants à travailler l’oral dans tous ses états. Il s’agissait « d’étudier les modalités permettant le développement d’une éducation à la parole au sein des établissements » dans un contexte de valorisation de l’oral, notamment avec la perspective d’un « grand oral » ou de la présentation d’un « chef-d’œuvre » au baccalauréat.
La conférence de Sylvie Plane, le premier jour, permettait à la fois d’entrer au cœur de la question et d’engranger quelques premiers repères et points de vigilance.
D’entrée de jeu la conférencière soulignait combien l’oral est un objet complexe autour duquel pouvaient se concentrer quelques malentendus. Quoi de commun entre les concours d’éloquence, la promotion du brio, la vogue des films ou spectacles autour de l’oral de prestige et de distinction, et l’oral pratiqué en classe ?
Quelle sera la visée du grand oral des Terminales ? S’il est calqué sur le grand oral de Sciences Po, ne risque-t-il pas de promouvoir des « exceptions consolantes » [1] sans œuvrer pour autant à un système plus égalitaire ?
Comment sera-t-il préparé en classe ? Deviendra-t-il l’enjeu d’une compétition supplémentaire en entraînant à être meilleur que les autres ou respectera-t-il les valeurs démocratiques de l’école ?
Réinterroger les pratiques
En complément de cette première approche trois regards permettaient de nourrir la réflexion sur la parole par des emprunts à la psychologie (Martine Carré), l’anthropologie chrétienne (Père Laurent Stalla-Bourdillon), et l’étude des langues anciennes (Vivien Longhi).
Une occasion de rappeler que les paroles peuvent être bienfaisantes ou toxiques, qu’elles sont nécessaires parce qu’elles participent à la conception du sens, et qu’elles sont une nourriture qui nous permet de vivre.
Une large place était réservée aux travaux en ateliers, occasion offerte aux participants de s’emparer des apports des intervenants pour mutualiser leurs expériences, partager leurs questionnements et réinterroger leurs pratiques.
La seconde journée permettait à Benjamin Moignard, plébiscité par les participants du colloque 2018 sur le climat scolaire, de prolonger la réflexion en 2019.
Prenant appui sur ses travaux de recherche menés dans un large panel d’établissements scolaires le conférencier mettait en relief plusieurs éléments. Il s’attachait notamment à resituer ce qui fait problème à l’école depuis les années 1980, qui ont vu émerger et se renforcer des nouvelles problématiques éducatives liées à la massification et à ses incidences sur les attentes à l’égard de l’école.
Non sans humour et finesse, l’intervenant soulignait quelques particularités françaises qui surprennent à l’étranger, comme le statut des agrégés ou la division du travail entre enseignants et cadres d’éducation. En France, le débat instruire/éduquer – rappelait-il - est idéologique et « c’est ça qui frotte », car « une école démocratique s’occupe et d’instruction et d’éducation ».
Dans ce contexte, le climat scolaire est intéressant à observer. Et l’intervenant invite à une première vigilance : ne pas le réduire au bien-être mais inclure la qualité du travail des élèves comme des adultes. À cet effet, examiner de plus près l’usage des sanctions – destinées au maintien de l’ordre – renseigne sur la qualité éducative des établissements. Les enquêtes menées montrent à la fois que plus le climat est détérioré, plus les sanctions – exclusions temporaires, par exemple – sont nombreuses et plus ces sanctions sont utilisées comme outils de régulation entre adultes plutôt que comme moyens d’éducation des élèves. Travailler sur l’usage des sanctions dans un établissement est donc un puissant levier pour repérer les clivages sur une politique éducative. Des clivages que l’on gagnerait à dépasser car – les enquêtes le montrent – là où le travail collectif a été rendu possible le climat scolaire et la qualité du travail ont été amélioré.
Une vidéo enregistrée de Pascal Balmand appelait à l’importance de passer du bavardage à la parole, une parole qui sera d’autant mieux reçue que celui qui la profère donne des gages que la parole de l’autre peut le transformer.
Il invitait à prendre au sérieux la parole des jeunes en encourageant à ouvrir des espaces pour la préparer de manière collégiale, afin que l’accumulation des « je » s’estompe au profit que la construction d’un « nous ».
Nul doute que les participants pouvaient partir en vacances avec une réserve de pistes mobilisables dès la rentrée dans leurs établissements.
Nicole Priou
[1] Expression empruntée par Sylvie Plane à Ferdinand Buisson