Dédramatiser l’orientation

Frédérique Weixler, inspectrice générale de l’éducation et spécialiste d’orientation
plaide pour que l’école ouvre des chemins d’émancipation
aux élèves en autorisant une prise de risques raisonnable
en matière de poursuite d’étude.

Une invitation au lâcher-prise et à la créativité.

L’orientation scolaire – Paradoxes, mythes et défi s, Frédérique Weixler, 2020, Berger-Levrault.

Les questions d’orientation prennent de plus en plus de place dans les parcours scolaires… pour le meilleur comme pour le pire ?

 

Frédérique Weixler: L’orientation se trouve à l'intersection de choix individuels, familiaux et de facteurs sociaux, territoriaux… Ce processus, qui relève donc à la fois de la construction de soi et de son inscription dans le contrat social doit légitimement préoccuper l’école, l’éducation consistant, selon son étymologie « à conduire vers l’extérieur », donc à aider les jeunes à se projeter dans l’avenir.

Pour autant il est urgent de dédramatiser cette question en France où le poids du diplôme et de la formation initiale génère une pression énorme pour l’ensemble des acteurs de la communauté éducative. Il n’y a que chez nous qu’à 60 ans les personnes se définissent encore par leur cursus d’étude ou la grande école qu’ils ont faite ! Résultat, les enquêtes pisa de l’OCDE relèvent que les élèves français ont moins confiance en eux et plus peur de l’échec que la moyenne…

 

La France est aussi épinglée pour un système éducatif très déterministe… 

Frédérique Weixler: Destins scolaires et origines socio-économiques y restent en effet fortement corrélés. Par exemple, trois quarts des élèves de Segpa appartiennent aux 30 % des familles les moins aisées et les élèves issus d’une famille immigrée y sont surreprésentés (17 % contre 10 % en cursus général). Pourtant, depuis 2018, l’écart a cessé de croître entre les élèves faibles, majoritairement issus de milieux modestes, et les élèves obtenant de très bons résultats. Preuve qu’inverser la tendance est possible et que l’orientation doit mettre la capacité d’agir des jeunes au centre de ses objectifs.

 

Comment dédramatiser ?

Frédérique Weixler: Il s’agit de casser la linéarité en renonçant à une logique trop déterministe. Ce faisant, on augmente certes la complexité mais on fait aussi baisser la pression ce qui permet de se mettre à l’écoute de l’essentiel, à savoir, les aspirations profondes des jeunes.

Pour cela, les éducateurs doivent avoir à l’esprit que, désormais, les voies d’accès à un métier et les manières de l’exercer sont multiples, de même que l’on peut plus facilement évoluer via la formation continue ou se reconvertir. Au final, seul un tiers des professionnels travaillent dans le secteur correspondant aux études qu’ils ont suivies, sauf bien sûr dans les professions réglementées de type expert-comptable, avocat ou médecin. Cela doit inviter à une disposition d’esprit qui m’est chère : la sérendipité, le fait d’accueillir l’imprévu comme un possible parfois préférable à ce que l’on avait initialement envisagé.

 

Vous engagez à déconstruire les mythes sur lesquels se fondent selon vous l’école et les mécanismes d’orientation… Quels sont-ils et comment faire ?

Frédérique Weixler: Il y a déjà le mythe du métier charmant, par analogie avec le prince charmant, celui, l’unique auquel on est prédestiné et vers lequel on chemine vers une seule voie d’accès possible que nous avons déjà évoqué. Il faut aider les jeunes à se mettre en projet… mais faire attention à la dictature du projet qui empêche d’envisager d’autres possibles.

Il y a aussi le mythe du mérite qui hypertrophie ce qui n’est qu’une définition des fonctions de l’école, classer les élèves. Or, la sélection, l’excellence et la seule logique de promotion individuelle ne peuvent être les seules priorités de l’École, comme l’explique très bien la chercheuse Marie Duru-Bellat (dans Le mérite contre la justice, Presses de Sciences Po, 2009)

 

 Quels dispositifs et postures vont dans ce sens ?

Frédérique Weixler: Il convient de mieux penser la co-éducation et de prêter attention à avoir, avec tous les élèves et leurs familles des interactions de qualité, constructives. Depuis 2018, la possibilité pour les recalés au bac de conserver les notes qui sont au-dessus de la moyenne a démontré le bienfait des contrats spécifiques noués avec les 50 000 élèves concernés : c’est l’occasion de définir des objectifs ciblés sur certaines matières, de repenser l’assiduité et d’organiser des créneaux de remédiation sur mesure. Cela fonctionne et valorise les équipes, comme à Besançon où le recteur a créé un prix de la persévérance qui récompense les anciens recalés qui décrochent leur bac et les équipes qui les ont accompagnés.

Plus généralement, les enseignants doivent veiller aux biais qui, à bulletin égal, font varier les décisions prises et les conseils donnés pour au contraire encourager des prises de risques raisonnables qui ne redoublent pas l’autocensure des filles ou des jeunes d’origine modeste.

Pour cela, ils ont tout intérêt à s’appuyer sur l’expertise des psychologues de l’éducation, de l’Onisep, des travailleurs sociaux et à se former. Cela commence aussi très tôt, dans le discours qu’on a sur les métiers ou dans l’accompagnement des stages de 3e, notamment pour aider ceux qui n’en trouvent pas et valoriser les comptes-rendus.

Un autre levier intéressant est l’analyse individuelle et collective de ce qui fonde les conseils, et prises de décision. A partir de là, les équipes peuvent ensemble s’assigner des objectifs précis partagés tels que relever le taux de boursiers dans les spécialités scientifiques ou le pourcentage de filles en NSI, par exemple…

 

 

La réforme du Lycée va-t-elle dans ce sens ?

 Le nouveau lycée entend en finir avec la hiérarchie implicite des filières. Le processus, en cours, implique que les familles favorisées tout comme les filières sélectives du supérieur acceptent d’encourager l’essor de profils plus polyvalents.

Tout ce qui se joue autour de l’évaluation et des nouvelles modalités des conseils de classe devrait aussi favoriser des orientations moins binaires et des décisions portées collégialement, y compris avec l’élève et sa famille. Le nouveau statut de professeur référent d’un groupe d’élèves vient enfin alléger et surtout partager la charge qui pesait avant trop exclusivement sur les professeurs principaux.

 

Et Parcoursup ?

Frédérique Weixler: Plus que Parcoursup, qui n’est qu’un outil et n’a pas de pouvoir magique, il faut considérer la réforme d’ensemble -lycée général et professionnel- qui met l’accompagnement à l’orientation au centre. Les inquiétudes et malentendus générés par Parcousup me semblent relever d’une confusion entre orientation et affectation, parcours et processus de placement.

Reste qu’il prend la valeur d’un rite de passage qui éprouve les élèves et génère de l’angoisse… Il convient donc de penser au mieux ce moment pour se l’approprier. L’un des grands intérêts de parcoursup selon moi est de ne plus hiérarchiser les vœux entre eux, ni de donner de bonus au 1er vœu, ce qui dramatise les choix alors que parfois la posture des jeunes évolue entre la formulation des vœux et la réception des réponses… Cela laisse de la place à une forme d’imprévu, qui peut être inconfortable, mais ouvre plus de possibles et permet de limiter les effets d’autocensure. En cela, il favorise la sérendipité : le non-classement des vœux doit être une invitation à s’autoriser des prises de risques.

 

Cet outil ne pénalise-t-il pas les élèves méritants ?

Attention au mythe du mérite ! Les grandes écoles commencent à ouvrir leur recrutement à des profils plus diversifiés, mais non moins méritants ! Je me félicite qu’ils puissent intégrer des cursus qu’ils n’auraient pu envisager, il y quelques années de cela. Je ne m’inquiète pas pour les profils plus classiques qui se retrouvent éconduits car ils trouveront des ressources pour rebondir, connaîtront les bienfaits d’une année de césure, l’intégreront plus tard… cette nouvelle donne implique aussi que les enseignants osent pousser des élèves qui ne sont pas forcément premiers de classe. Cela ne pourra que favoriser la mobilité sociale à l’école, ce qui améliore la performance globale du système scolaire.

On redoute la toute-puissance de l’outil mais on critique aussi les pondérations de critères auxquelles procèdent les commissions d’universités ou les CAES rectorales qui prouvent pourtant que les acteurs conservent une capacité d’agir. A tous de s’en saisir : je trouve au contraire très sain d’interroger collectivement les critères d’affectation retenus.

Partagez cet article

>