Les ados de la Dalle
Depuis la rentrée 2014, un professeur de l’enseignement catholique participe à l’une des actions contre le décrochage scolaire menée par l’association Le Valdocco, à Argenteuil (Val d’Oise). Une complémentarité fructueuse.
Par Virginie Leray
« Ras-le-bol de l’école ! », « Besoin de souffler… », « L’orientation ? Pfff… C’est nul de tous les côtés… » En délicatesse avec le système scolaire, et donc exposés à un risque de marginalisation sociale précoce, Juliette, Tom et Amir bénéficient du dispositif Adoval. C’est l’une des nombreuses prises en charge proposées par Le Valdocco, association spécialiste de l’accompagnement de la jeunesse en quartier sensible, fondée il y a 20 ans par des habitants de la Dalle d’Argenteuil, en banlieue parisienne, et le prêtre salésien Jean-Marie Petitclerc.
Plusieurs fois par semaine, ces adolescents du Val Nord, secteur de cités, gravissent donc les Côteaux, zone pavillonnaire, pour rejoindre le coin de verdure où se niche une antenne du Valdocco. Ce lieu de remobilisation accueille chaque année depuis 2011, dans le cadre d’Adoval, une dizaine de jeunes de 12 à 16 ans adressés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) pour cause d’absentéisme, de difficultés familiales, de retard dans les apprentissage ou de problèmes de comportement. En concertation étroite avec les collèges où ils sont scolarisés, l’équipe d’Adoval aménage pour ces élèves en voie de décrochage un emploi du temps qui intègre trois à cinq demi-journées de suivi socio-éducatif, de remédiation scolaire ainsi que de médiations sportives et artistiques assurées par l’association. Premier signe du chemin parcouru par ces adolescents en crise, leur poignée de main franche et le bonjour sonore et souriant qu’ils adressent à chacun des trois adultes présents pour les accueillir. Soit deux éducateurs et, depuis la rentrée 2014, un enseignant spécialisé mis à disposition à mi-temps par la direction diocésaine du Val d’Oise, soucieuse de s’impliquer dans le champ du décrochage.
« On se bagarre beaucoup avec les jeunes, quand ils nous arrivent, tout perdus, renfrognés... Certains ne restent d’ailleurs que quelques semaines. Mais ceux qui s’accrochent… ou plus tôt qu’on accroche, jouent le jeu et intègrent les règles. C’est un peu comme lors de la séance d’équitation du vendredi… une histoire d’attelage ! », explique Abderrazak Maamari, éducateur spécialisé. Tom, arrivé dès juillet 2014 pour suivre une 3e aménagée avec Adoval, plutôt qu’une 3e prépa pro que lui et sa famille refusaient farouchement, confirme : « Squash, natation, pâtisserie, menuiserie… ça fait du bien de respirer en dehors de l’école ! On prend du recul… On comprend mieux pourquoi c’est important pour nous de faire des efforts en cours. »
Après un stage dans une entreprise d’électricité et de multiples entretiens sur son orientation avec les éducateurs et son entourage, il envisage plus sereinement un CAP électricité. Il a d’ailleurs déjà commencé à aborder le programme avec l’enseignant spécialisé Richard Zeller. Preuve de la pertinence de l’action conjuguée des deux cultures professionnelles.
« Maintenir le lien avec l’école »
En effet, l’assiduité, la ponctualité, la politesse ou encore les problèmes familiaux accaparant les éducateurs, le renfort de Richard Zeller, présent à mi-temps dans la structure, permet un rattrapage plus efficace des lacunes scolaires. Il travaille en complémentarité avec Émilie Fidalgo, éducatrice scolaire, qui continue à s’occuper de l’orientation des jeunes, de la surveillance des devoirs à la maison, de la tenue du cartable et des cahiers.
« J’assure aussi des séances d’accompagnement à la scolarité, confie-t-elle. Mais en recourant quasi exclusivement à une pédagogie du détournement qui s’appuie sur des recherches documentaires, des jeux ou de la pratique artistique ». Richard Zeller, quant à lui, s’emploie « à reconnecter les élèves aux formes plus scolaires et à installer les fondamentaux non maîtrisés afin que le temps consacré à l’accompagnement socio-éducatif ne creuse pas
davantage le fossé en termes d’apprentissage. C’est toute l’originalité et l’atout de notre dispositif de maintenir le lien avec l’école quand tant d’autres structures proposent une rupture, un dépaysement qui éloignent encore les jeunes du niveau requis. »
L’arrivée de Richard Zeller a permis de réduire à trois maximum, le nombre de participants aux séances de remédiation en privilégiant, le travail individuel. « Plus facile pour se concentrer », lâche Charlotte, en 4e, arrivée avec de grosses difficultés de lecture mais passée maître dans l’art du « logo rallye à la Queneau », ces récits à construire à base de mots imposés.
Ces progrès manifestes obtenus à force de patience, de mini contrats de comportement et d’un souci de valorisation permanent s’appuient aussi sur une ancienne expérience d’enseignement en Institut thérapeutique éducatif et pédagogique qui a aguerri Richard Zeller à des publics difficilement disponibles aux apprentissages et l’a habitué à collaborer avec des collègues éducateurs. « Les évaluations diagnostiques qu’il réalise à l’arrivée de chaque jeune pour définir ensuite avec lui les progressions visées nous aident beaucoup à formaliser le travail engagé, analyse Émilie Fidalgo. Notamment parce que cela inclut les compétences relationnelles qui sont davantage de notre ressort mais qui s’inscrivent pleinement dans le socle commun ». Pour les éducateurs, dont chacun est le référent d’un jeune auprès de son collège d’origine, le climat des rencontres mensuelles avec l’équipe enseignante des établissements scolaires s’est amélioré. Un véritable dialogue a remplacé ce qu’ils percevaient parfois comme un échange à sens unique où l’école prescrivait les objectifs et évaluait les résultats au seul prisme des améliorations observées en classe.
« Nous avons formalisé un outil d’observation qui rend compte de l’évolution du jeune, par rapport aux apprentissages ainsi qu’en termes de comportements, se félicite Marie Jarry-Lacombe, coordinatrice d’Adoval. Il est rempli par les trois membres de l’équipe mais aussi par les partenaires extérieurs qui interviennent pour les activités sportives. Les rôles de chacun s’en trouvent mieux articulés, au profit d’une vision plus globale des progrès des jeunes ». Quant à Laurence Tricot, responsable ASH (adaptation scolaire et scolarisation des élèves handicapés) de la direction diocésaine du Val d’Oise, elle salue une initiative amenée à se développer : « L’école ne peut pas se contenter de sous traiter le problème du décrochage mais doit s’y impliquer, apprendre à travailler avec les partenaires investis sur ce champ. Cette expérience, qui intéresse d’ailleurs l’inspection académique, démontre que les compétences des enseignants spécialisés sont pertinentes, notamment pour améliorer l’interface entre monde éducatif et système scolaire. » Autant de complémentarités et de synergies à fortifier.
De Petitclerc à Le Clère
« Les adolescents décrocheurs poussent les institutions à inventer, à construire de nouveaux partenariats, à bouger les lignes entre éducatif et didactique », assure François Le Clère, qui a succédé en février 2014 à Jean-Marie Petitclerc à la tête de l’association Le Valdocco d’Argenteuil. D’abord éducateur de rue puis doctorant chercheur à Paris 8, il estime qu’en plus de l’étayage éducatif, « aider un adolescent à retourner de manière sécurisante dans la lecture, l’écriture et le calcul contribue aussi à l’amener vers l’autonomie affective qui lui permettra d’exister. »
Un positionnement qui incite à resserrer les liens entre monde éducatif et institution scolaire. Déjà, l’engagement du Valdocco contre le délitement du lien social chez les jeunes fait la part belle à la problématique scolaire : animations de rue telles que des bibliothèques ambulantes, propositions de loisirs et surtout soutien scolaire individuel et collectif. Reste à consolider encore la cohérence éducative entre les adultes et les institutions investies sur ce champ. Un principe cher à Jean-Marie Petitclerc et dans lequel l’œil malicieux de François Le Clère perçoit « un enjeu conjugal ».