L’Assemblée plénière des évêques de France, s’est tenue en distanciel du 3 au 8 novembre derniers. Le discours de clôture de Mgr Moulins-Beaufort revient sur des travaux qui ont porté sur l’équilibre alimentaire et l’agriculture, préparant une session de printemps placée sous la thématique « Créer et produire ».
Les évêques ont aussi poursuivi leur prospective sur l’implantation des paroisses et sont revenus sur les attentats qui ont causé la mort d'un enseignant et de trois fidèles niçois.
Une autre session se tiendra le 25 novembre, notamment pour entendre le secrétaire général de l’enseignement catholique.
Discours de clôture prononcé par Mgr Éric de Moulins-Beaufort,
Archevêque de Reims et Président de la Confédération des évêques de France
Chers amis, frères et sœurs, chers Frères évêques,
Conditions inédites, assemblée fructueuse
Au fil des dernières années, la célébration eucharistique commune est devenue le cœur des assemblées plénières de la Conférence des évêques de France. Mgr Perrier, en 2008, avait rendu possible qu’elles aient lieu dans la basilique Sainte-Bernadette ; Mgr Brouwet, dès son arrivée, a proposé comme lieu quotidien la basilique Notre-Dame-du-Rosaire. La traversée du pont sur le Gave ne s’est pas, à l’usage, révélée dangereuse et, peu à peu, la liturgie a trouvé sa forme. Les pèlerins présents constituent une assemblée dont la seule vue rappelle concrètement aux évêques que leur ministère est un ministère pour l’Église catholique entière. Les Laudes le matin, les Vêpres au milieu de l’après-midi, l’Angélus à midi et à 18h, déploient en quelque sorte la célébration du mystère de la foi concentrée dans la liturgie eucharistique. Serrés dans les stalles de la basilique, les évêques éprouvent physiquement leur appartenance à un collège au service du Corps du Christ entier.
Notre assemblée de cette année, tenue par visio-conférences, épidémie oblige, ne nous a pas permis cette expérience singulière de la proximité les uns aux autres qui se vit dans le rite eucharistique et qui est nourrie par l’Eucharistie elle-même. Les prodiges de la technologie nous ont été plus qu’utiles : grâce à eux, au-delà de ce que nous aurions imaginé, je crois, nous avons éprouvé la joie de nous voir les uns les autres, à tout le moins de nous apercevoir dans les vignettes de nos écrans, parfois de parler à quelques-uns dans un groupe réuni dans une salle numérique. Nous avons même, m’a-t-il semblé, éprouvé quelque chose de l’allégresse qui nous avait saisis en novembre 2019, lorsque nous nous étions retrouvés, un mardi matin, à 300 dans l’hémicycle, prêtres, laïcs, hommes et femmes, évêques, experts et invités diocésains, âgés ou jeunes, voire très jeunes puisqu’il y avait eu parmi nous deux bébés. Les célébrations eucharistiques des deux premiers jours de l’assemblée avaient alors encore gagné en intensité : nous avions éprouvé combien le Seigneur, venant au milieu de nous, nous donnait les uns aux autres comme des frères et des sœurs, ouvrant notre intériorité en profondeur en même temps qu’en largeur et nous envoyant vers le monde parce qu’il nous donnait d’y porter un message de vie.
La distance maintenue de cette année, chacun étant seul chez soi, nous a offert une autre expérience ; peut-être notre communion entre nous, évêques, qui nous connaissons bien, et aussi avec les personnes que chacun avait invitées et que les autres ne connaissaient pas, est-elle si réelle qu’elle a traversé les écrans et nous a réjouis, dès le premier instant. De même, lorsque nous nous sommes retrouvés entre nous, à partir de mercredi après-midi, cette communion nous a permis de discuter, de faire entendre nos divergences d’appréciation, de confronter nos réflexions, sans crainte, parce que nous nous savons unis par plus grand que nous qui est aussi, nous le savons pour notre bonheur, plus intérieur à chacun que lui-même.
A défaut de célébrer ensemble la messe, nous nous sommes joints chaque jour au chapelet prié dans la grotte de Lourdes. Je voudrais ici remercier au nom des évêques Mgr Hérouard, Mgr Brouwet, le P. Ribadeau Dumas, les chapelains et les autres personnes qui ont rendu possible cette prière, ainsi que les évêques qui ont rédigé les méditations des différents jours. Il était bon et même nécessaire que nous nous sachions portés par la prière de beaucoup, en France et ailleurs, et que nous ajoutions discrètement notre prière à la prière de tant de personnes qui regardent vers Marie, notre Dame de Lourdes, avec confiance et espérance. Les intentions entendues au début de chaque récitation nous reliaient aux douleurs et aux attentes de beaucoup en notre monde.
Certes, le vrai culte, le véritable sacrifice, est le sacrifice spirituel, par lequel chacun fait de tout lui-même une offrande à la gloire du Père (Rm12, 1). L’Apôtre Paul écrit : « Offrez votre corps en sacrifice spirituel, capable de plaire à Dieu ». Le corps, ici, désigne le tout de l’être humain, celui qui agit grâce à ses membres, celui qui imprime sa marque en ce monde, dans le cosmos, en y introduisant une intention. La moindre de nos actions peut ainsi devenir un acte « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » (Missel romain, dialogue de l’offertoire). Tout le culte liturgique, toute la vie sacramentelle, sont orientés à cette fin. Mais nous savons, nous chrétiens, nous catholiques, que pour vivre ainsi, pour vivre à ce niveau-là, pour être selon ce que dit Jésus des « adorateurs en esprit et vérité », nous avons besoin de lui, Jésus, le Fils du Père, le seul vrai adorateur, qui nous prend en lui malgré nos péchés, malgré les scléroses et les ambiguïtés de nos libertés. Certes, il agit en nous par son Esprit ; certes, sa puissance de Ressuscité se déploie à l’intime de chacun de nous par le don de l’Esprit qui diffuse en nous la charité, mais il a voulu, tout de même, que, pour entendre sa Parole, nous sentions aussi les autres qui l’écoutent avec nous et s’en laissent toucher ; il a choisi, pour nous unir à son sacrifice, à son geste qui récapitule toute l’histoire humaine, d’insérer dans la Pâque des Juifs, la Pâque de son peuple, la livraison de son Corps et de son Sang ; il a poussé l’amour jusqu’à se faire notre nourriture, en passant par le goût fugace du pain, le très peu de pain sans beaucoup de goût que nous utilisons pour l’Eucharistie.
La technique nous a permis d’être rassemblés sans l’être physiquement et par là, de surmonter les différents plus ou moins importants, les quiproquos et les agacements qui s’exacerbent lorsque l’on ne se voit pas et que l’on oublie ou que l’on surmonte lorsque, soudain, se retrouvant, on éprouve à nouveau la joie que l’autre nous apporte par ce que sa présence physique traduit de la qualité de son cœur et porte de promesse de se comprendre pleinement un jour. Mais la technique n’a pas remplacé ce en quoi la célébration commune nous replonge, la joie de l’Épouse du Christ suscitée par son Époux, qui tressaille à sa voix et vibre à sa venue, à quoi le dialogue des évêques, prêtres et diacres avec l’assemblée eucharistique nous donne part.
Hier, à 18h, au moment où les évêques allaient se séparer, est tombée la décision du juge des référés. Nous sommes déçus sans doute. Le juge, ce qui est important, a rappelé avec force que la liberté de culte était une liberté fondamentale, qu’elle ne s’exerçait pas seulement individuellement mais aussi par des célébrations publiques. Il a toutefois estimé que des mesures d’interdiction étaient légitimes et proportionnées, compte tenu de la gravité de la situation sanitaire, ce d’autant qu’il a pu lui être montré que certains lieux de culte manquaient aux règles de protection sanitaire édictées. Nous, évêques, partageons la tristesse des fidèles, privés non seulement de la messe mais, pour certains, de la célébration d’une étape de leur initiation chrétienne ou de leur mariage. Des efforts collectifs sont nécessaires si nous voulons avoir une chance de célébrer Noël de manière digne, sans qu’une inquiétude exagérée pèse sur nos soignants mobilisés dans les hôpitaux et toutes les structures qui œuvrent pour la santé publique. Mais il est demandé aux pouvoirs publics d’organiser une concertation avec les cultes : nous nous y préparerons sans délai, avec le ferme espoir de trouver un protocole satisfaisant.
Je me dois de vous le dire : au-delà de la douleur de la privation de Messe, pour moi, il est important qu’en cette affaire, le droit soit dit avec précision. Nous avons appris à vivre en régime de séparation et à goûter la liberté qu’y trouve l’Église de vivre sa vie propre, non pas hors de l’État mais sans sa contrainte, non pas contre la société mais en son sein, en servant sa cohésion, mais selon la dynamique propre de la foi en l’Évangile du Christ et de la dilatation du cœur et de l’action que nous en recevons. En un temps où, pour des raisons tout à fait compréhensibles, qui relèvent de sa responsabilité, l’État cherche à renforcer sa surveillance des religions, quelles qu’elles soient, nous devons être vigilants, – nous, ce sont tous les citoyens français-, sur la précision des textes qui limitent ou encadrent ou expriment les libertés fondamentales.
En concluant cette Assemblée plénière, j’essaie d’exprimer ceci : nos assemblées d’évêques ne sont pas seulement des réunions de travail, de coordination, de mise au point de nos organisations dans les circonstances variables de l’histoire ; nos assemblées sont aussi, et peut-être surtout, des actes du culte spirituel que nous devons à Dieu, des moments de célébration de la joie et de la force de la foi dans le Christ, envoyé par le Père qui répand en nous son Esprit-Saint.