Dans le grand bain de la réforme

Au lycée L’Olivier, à Marseille, les terminales se préparent à passer le nouveau bac.
Retour sur la mise en place très complexe d’une réforme qui, même si elle a donné quelques sueurs froides au chef d’établissement et aux enseignants, offre de réelles opportunités aux élèves.

Noémie Fossey-Sergent

 

Lorsque la réforme du lycée a été dévoilée, je me suis rendu compte qu’en ouvrant huit spécialités, si on proposait toutes les combinaisons possibles, on allait passer de trois filières à cinquante- six ! », se souvient Christian Robet. Passé le moment de stupeur, le chef d’établissement du lycée général L’Olivier à Marseille (400 élèves) s’est mis au travail pour préparer la rentrée 2019. « Il fallait que je prévoie le nombre de professeurs dont j’aurais besoin selon les choix de spécialités que feraient les élèves quelques mois plus tard. » En janvier 2019, il lance un sondage auprès des 2des qui formeront la première promotion du bac 2021 mais aussi auprès des anciens élèves et demande à ses professeurs quelles combinaisons de spécialités leur semblent pertinentes. « Sur un tableau Excel, j’avais répertorié toutes les associations imaginables (deux majeures et une mineure abandonnée en fin de 1re) à partir de huit spécialités, dans des groupes appelés “portails”. Ils devaient indiquer si ce parcours leur semblait très cohérent, cohérent ou peu cohérent pour Parcoursup. » À la fin, quinze combinaisons font consensus. Problème : elles ne correspondent pas forcément aux vœux des élèves. « J’avais dix-neuf élèves avec des choix différents. Je les ai reçus et écoutés et ils avaient de vrais arguments, se souvient Christian Robet. Mais à ce stade, je ne savais pas s’il était possible d’ouvrir tous les parcours demandés. Il nous aurait fallu une aide technique du ministère, un préprogramme d’emplois du temps, or on était complètement lâchés. Et je voulais être sûr de pouvoir proposer en Tle ce que je programmais en 1re... »

Trente-trois parcours

Grâce à un coup de main familial sur le plan informatique, et en jouant sur l’amplitude horaire et les plages de devoirs surveillés de 2de, le chef d’établissement parvient à caser en trois barrettes les trente-trois portails sans complexifier les emplois du temps. « J’ai choisi d’ouvrir toutes les combinaisons demandées, même celles souhaitées par un seul élève, ce qui nous faisait passer de quinze à trente-trois parcours. »

Il alerte toutefois les jeunes et leur famille sur la dizaine de « combinaisons pièges », qui pourraient les mener à une impasse. Comme choisir physique ou sciences économiques sans les mathématiques, qui, au vu des programmes, semblent essentielles pour suivre ces deux spécialités en Tle. Tous les élèves, sauf ceux qui souhaitaient une orientation technologique, sont restés.

Si Christian Robet s’est autant arraché les cheveux pour préserver la liberté de choix de ses élèves, c’est parce qu’il est convaincu de l’intérêt de la réforme pour eux. « Elle a été mise en place via un pilotage très vertical, regrette-t-il, mais elle est respectueuse d’un jeune de 14 ans qui ne sait pas encore ce qu’il veut faire de sa vie mais a du goût pour telle ou telle matière. Le fait de ne plus avoir de chemin tracé les oblige à se demander : “Qui je suis ?” On ne dit plus à l’élève : “Conforme- toi à une série !” mais : “Compose ton itinéraire.” Sur le plan éducatif, c’est très intéressant. »

Rassurer les professeurs

En parallèle, il s’efforce de rassurer ses professeurs inquiets pour leur poste. « J’ai gardé un matelas d’heures supplémentaires et demandé à certains profs de prendre en charge une nouvelle discipline, sciences du numérique et technologie, sans formation préalable, pour sauvegarder

les emplois », confie Christian Robet. Au final, tous ont pu être maintenus. Habitués à travailler ensemble, « un atout de l’équipe » selon Christian Robet, les enseignants de 1re ont décortiqué durant l’été 2019 les programmes par discipline. S’ils admettent que la réforme a du bon, les avis divergent quant à la pertinence de leurs contenus, selon les matières. « En spécialité sciences physiques, le nouveau programme réintroduit les mathématiques, ce qui est un point positif. Mais du coup,
il faut s’accrocher dès la 1
re », estime Marc Delfour, enseignant dans cette discipline. Jean- François Cuttoli, professeur de lettres, approuve pour sa part l’allègement de l’écrit du bac de français, avec la suppression de l’invention. En arts plastiques, la différence d’exigence entre la 1re et la Tle interroge Hélène Loumagne : « L’épreuve de spécialité en 1re est très « light », avec moins d’œuvres à étudier, alors que le niveau en Tle est resté complexe. » Sophie Martinet, enseignante en sciences physiques, pointe pour sa part le rythme effréné qu’impose la réforme : « En 1re, entre les devoirs sur table toute l’année, les épreuves du tronc commun (ex- E3C) en février et en mai et le bac de français en juin, c’est la course pour suivre le programme ! » Étienne de Lesquen, enseignant en SVT, observe enfin que l’abandon d’une des trois spécialités à la fin de la 1re lui profite rarement : « On perd beaucoup d’élèves en Tle car ils préfèrent conserver sciences physiques et maths. » Si les élèves de Tle se réjouissent de l’aspect sur-mesure de la réforme, beaucoup ne vivent pas très bien d’être la promo « crash-test ». Léna apprécie d’avoir pu se concocter un menu de matières qui l’intéressent vraiment mais a trouvé le calendrier « trop précipité », sentant ses professeurs « parfois un peu perdus ». « On est dans l’inconnu, explique Arnaud. Avec le confinement, on a en plus l’impression d’avoir pris un retard difficile à rattraper. » Sentiment partagé par Louise qui a dû choisir, en 2de, ses spécialités « sans en connaître alors le contenu », faisant « un choix sur du vide ». Mathis, qui veut poursuivre en médecine, abonde : « Je ne savais pas quelle spé abandonner en Tle. J’aurais bien gardé SVT mais je craignais de me retrouver avec 70 % de cours sur les roches alors que j’aurais eu besoin de connaissances sur le corps humain. » Certains, comme Justine, se désolent de la disparition des options, qui ne rapportent plus rien au bac, mais auraient pu valoriser son dossier Parcoursup : « Le latin, que j’étudie depuis la 5e, aurait pu booster ma note finale. » Mais Christian Robet n’a pas pu continuer à les proposer. « Cela prend en heures quasiment l’équivalent d’un groupe de spécialité, le coût devient élevé pour un établissement. »

 

Dernier point d’inquiétude soulevé par les Tles : le contexte sanitaire qui a sans doute contribué à les noter de façon bienveillante et jette un trouble sur leur niveau véritable. En revanche, ils constatent que l’éclatement en groupes de spécialités les a conduits à mieux se connaître et à s’exprimer davantage. « Cette réforme est très dispersive, analyse Christian Robet. Les élèves appartiennent maintenant à six groupes : celui du tronc commun, ceux des trois spécialités et ceux de LV2 et d’EPS. Comment réunir lorsque les contingences éparpillent ? » L’Olivier a quelques atouts : c’est un petit établissement où tout le monde se connaît, et les rencontres sont fréquentes entre les niveaux, via les activités pastorales et artistiques... De plus, la concertation entre enseignants d’une même matière s’est intensifiée : ils doivent désormais se synchroniser dans le programme pour que tous les élèves en soient au même point au moment des Épreuves communes (EC). Le rôle du professeur principal est amené à évoluer. « C’est en réflexion mais l’une des pistes pourrait être celle d’un tuteur d’un groupe d’élèves de la 2de à la Tle », explique Christian Robet, qui voit

Christian Robet, qui voit aussi dans la complexité des emplois du temps l’occasion de repenser les espaces de travail des enseignants. Avec plus de « trous » dans leur planning, ces derniers pourraient être amenés à préparer leurs cours au lycée plus que chez eux et avoir besoin d’un lieu plus calme que la salle des profs...

Et l’année prochaine, les futurs élèves de 1re choisiront-ils les mêmes combinaisons que leurs camarades de cette année ? Difficile à prévoir... Christian Robet se prépare à un possible nouveau casse-tête des emplois du temps. Pour affiner ses prédictions, il envisage « de réaliser des statistiques dans trois ans, pour voir si certains parcours ne sont jamais choisis par les élèves et si des combinaisons mènent à des impasses avec Parcoursup ». Pour continuer à baliser au mieux le chemin de ses jeunes vers la réussite.

A lire dans ECA n°399

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