Des lycéens qui s’auto-évaluent

Depuis la rentrée dernière, les élèves de première S du lycée Fénelon Sainte-Marie, à Paris, s’auto-évaluent en physique-chimie. Cette façon de gagner en autonomie, après avoir troublé les intéressés, remporte désormais un grand nombre de suffrages.

Par Laurence Estival

Dans la salle de classe, à quelques jours de la fin de l’année scolaire, l’ambiance est électrique. Les élèves de première S attendent le verdict de leur professeur de physique, Marie-Camille Coudert. Quand elle égraine les notes, certains respirent, d’autres ne cachent pas leur déception. Se seraient-ils donc trompés à ce point en s’auto-évaluant ? Des petits malins auraient-ils joué le tout pour le tout en gonflant exagérément leur score ? Il y a sans doute un peu des deux tant l’auto-évaluation n’est pas un exercice facile, même après une année scolaire où les lycéens ont progressivement appris à se jauger…

C’est en septembre dernier que cette méthode non conventionnelle a été mise en place par l’enseignante et un de ses collègues, Olivier Sauret, lui aussi enseignant de physique en première S. « Les devoirs sur table ou à la maison ne permettent pas de mesurer ce qui a été réellement appris. Ils valident des connaissances mais rarement des compétences, comme la capacité à rechercher une information, à rédiger un protocole scientifique ou à faire une fiche de cours alors que ces compétences sont clairement mentionnées dans le livret scolaire », met en avant Marie-Camille Coudert. Pour évaluer ces facultés, un tableau avec différents items répartis en cinq grandes catégories – restituer et mobiliser des connaissances et des savoirs ; rechercher, extraire et exploiter une information ; raisonner, argumenter ; communiquer ; maîtriser la démarche scientifique – est proposé chaque trimestre aux élèves, avec à la clé un certain nombre d’exercices de niveaux plus ou moins complexes. Chaque fois qu’ils rendent une copie, les lycéens doivent colorier des barres correspondant aux compétences, indiquées au début de l’énoncé, qu’ils ont pu mobiliser.

Développer l’esprit critique

« Au départ, j’étais un peu perdu. Mais après quelques semaines, j’ai réussi à rentrer dans cette logique. Plus on fait d’exercices, plus on a en réalité la possibilité d’améliorer sa note, observe Anaëlle, montrant son tableau bariolé.

Pour s’évaluer, les élèves du lycée Fénelon Sainte-Marie utilisent un tableau dont les barres sont coloriées à chaque copie rendue
Les élèves utilisent un tableau dont les barres sont coloriées à chaque copie rendue - © L. Estival
Un jury examine les réclamations d’élèves insatisfaits de leur note
Un jury examine les réclamations d’élèves insatisfaits de leur note - © L. Estival

 J’ai d’ailleurs beaucoup plus travaillé à la maison que pour d’autres cours. Aucun exercice n’étant obligatoire, c’est à nous de décider de ce que l’on souhaite faire en fonction du nombre de barres qu’on entend colorier. »
Passé le stade des interrogations, les élèves sont très nombreux à faire le même calcul. Le jeu en vaut largement la chandelle dans la mesure où ces compétences validées comptent pour la moitié du résultat final, au même titre que l’assimilation du contenu du cours, sanctionnée par la note obtenue lors du bac blanc.

Avant de faire les moyennes à la fin de chaque trimestre, l’enseignante étudie les barres colorées. « Il y a toujours des désaccords, s’amuse-t-elleCeux qui contestent mes remarques peuvent toutefois justifier le résultat qu'ils se sont accordés devant un jury constitué par quatre ou cinq de leurs camarades. »
Dans la salle attenante, Gaëtan est en train de préparer ses arguments avant de passer devant les examinateurs. « Je me suis mis 18 sur 20, la prof a dit 15. Je trouve que ce chiffre ne permet pas réellement de prendre en compte ma progression. J’avais eu 14 au 1er et au 2trimestre alors que j’avais rendu beaucoup moins d’exercices ! C’est très important pour moi car je souhaite intégrer une prépa après le bac. Je voudrais que mon dossier témoigne de ma plus forte mobilisation au 3e trimestre », raconte-t-il.
Dix minutes plus tard, il se retrouve devant Tristan, Thomas et Nicolas, mués en juges de paix soucieux de respecter les équilibres.La négociation s’engage pendant un bon quart d’heure sans que Gaëtan n’arrive à obtenir gain de cause… « Ce n’est pas simple de juger un camarade mais nous veillons à assurer une certaine équité », résume Nicolas. Passant de jury en jury, Marie-Camille Coudert observe, non sans plaisir, le déroulement des plaidoiries.
« C’est très intéressant de mettre les lycéens dans la position de l’enseignant pour les aider à mieux prendre du recul sur le système de notation, sur ce qu’on cherche à mesurer par rapport aussi à une moyenne. Ils développent leur esprit critique », mentionne l’enseignante, curieuse de constater que les élèves se montrent finalement plus sévères que les professeurs…

Convaincre les réfractaires

Si la méthode ne convainc pas vraiment Anneline, pressée de retrouver un système de notation plus classique, elle a pourtant fait de plus en plus d’adeptes au fil des mois. « C’est une autre façon de travailler », reconnaît Anaëlle, qui comme d’autres serait très inquiète de revenir l’année prochaine à des évaluations traditionnelles dans lesquelles elle n’aurait pas son mot à dire… « Ce système nous permet de suivre le programme à notre rythme, car l’on peut rendre les exercices quand on le souhaite, lance ainsi Agathe. Surtout, on gagne beaucoup en autonomie.» Obligés de s’organiser, les lycéens se préparent à leur future vie d’étudiant. « Ce dispositif crée également une forte dynamique dans la classe car dans les items, quelques-uns mettent l’accent sur le travail en équipe. Et s’il y a eu sans aucun doute un peu de déstabilisation au départ, je m’aperçois au final, notamment en fonction des notes obtenues lors du bac blanc, que les résultats sont au rendez-vous », se félicite Marie-Camille Coudert, qui espère bien faire des adeptes auprès de ses collègues.
La médaille a toutefois un revers : quand les élèves ont compris qu’ils pouvaient améliorer leur note en rendant de plus en plus d’exercices, elle s’est retrouvée quelque peu submergée par les copies à corriger. « Du coup, regrette Rosy-Laure, il fallait parfois attendre une dizaine de jours pour avoir le corrigé. Comme on était passé à l’exercice suivant, ce n’était pas toujours facile de comprendre nos erreurs. »

Consciente de cette faiblesse, l’enseignante s’est donnée les grandes vacances pour préparer des ajustements, sans pour autant remettre en cause son modèle pédagogique. Les réglages effectués, il restera encore à convaincre les parents. « Quand je leur ai présenté le dispositif en début d’année scolaire, un tiers d’entre eux a immédiatement été enthousiaste, un tiers n’avait aucun a priori et un tiers s’est montré franchement opposé », indique-t-elle, bien décidée à tout mettre en oeuvre pour réduire le nombre de récalcitrants…

Appui en ligne

Si la méthode d’auto-évaluation mise en place par Marie-Camille Coudert ressemble un peu à une machine à gaz, l’enseignante a pris le soin d’expliciter sa démarche et son fonctionnement sur un site web personnel, utilisé aussi comme support de cours. Alimenté au fur et à mesure des chapitres, il propose des compléments permettant aux élèves de revoir les fondamentaux acquis lors des années précédentes ou, pour ceux qui le désirent, d’aller encore plus loin que le programme lui-même. Pour les lycéens, une visite s’avère très utile, voire même indispensable, pour réaliser les exercices les plus compliqués. Ceux qui n’ont pas compris les explications du professeur peuvent également visionner des cours similaires donnés par d’autres enseignants. « Et surtout, à tout moment, on peut envoyer un mail à Mme Coudert pour lui demander des précisions », apprécie Anaëlle.

eca356Issu du magazine Enseignement catholique actualités n° 356, août-septembre 2013

À retrouver dans l'ECA n° 356

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