Eduquer à la citoyenneté
Au collège-lycée Notre-Dame-des-Missions, à Charenton (Val-de-Marne), Laurence Krongelb, enseignante d'histoire-géographie distille l'enseignement moral et civique dans de multiples actions.
Solidarité, engagement, lutte contre les discriminations, focus sur l'actualité... qu'il s'agisse de parenthèses ou de projets au long cours, tout est bon pour éveiller les jeunes consciences citoyennes!
Gaëtane Deljurie
Fallait-il commémorer le bicentenaire de la mort de Napoléon Bonaparte ? En quoi le meurtre de George Floyd, cet homme afro-américain mort suite à une interpellation par un policier blanc aux États-Unis, repose la question du racisme ? Que penser de l’affaire Mila, cette lycéenne insultée et menacée de mort pour avoir tenu, en live sur Instagram, des propos insultants envers l’islam ?
En tant que professeur d’histoire-géographie, Laurence Krongelb voit dans ces faits de société autant de sujets à aborder dans le cadre de ses cours, notamment en matière d’éducation morale et civique (EMC). Elle en fait des « parenthèses EMC », comme elle aime à les appeler : dix à quinze minutes pendant lesquelles elle invite les élèves à se poser les bonnes questions, afin de mieux faire ensuite le lien avec le programme scolaire.
« En travaillant sur la IIIe République et sur l’importance du suffrage universel avec les 4èmes, nous avons par exemple pu rebondir sur l’actualité des élections régionales. Voter est à la fois un droit mais cela nous permet de nous interroger sur la notion de devoir », prend pour exemple Laurence Krongelb. Idem pour la polémique autour de la commémoration de Napoléon Bonaparte : « Les 4èmes ont ainsi pu mettre en perspective quel était l’héritage de Napoléon 1er aujourd’hui ( le Code Civil et autres codes, le Concordat, les Préfets, les lycées, les réformes de l’institution judiciaire, la Banque de France, la Légion d’Honneur….). Mon objectif est toujours que les élèves aient le réflexe de confronter des sources diverses avant de donner leur avis. »
Visite du Parlement européen
Sauf que ces « parenthèses » très pertinentes ne sont que la partie émergée de l’iceberg : cette enseignante multiplie les projets sur des temps plus longs pour embarquer ses classes de collège et de lycée dans une réflexion civique qui remet en cause nombre de préjugés. De la découverte des institutions politiques aux prétoires des tribunaux jusqu’aux visites de lieux de mémoire autour de la Shoah, Laurence Krongelb met tout en œuvre pour éveiller les consciences de ses élèves.
« Les élèves de 3ème ont ainsi pu visiter le Sénat, guidés par M.Herbillon, député du Val-de-Marne. Quant aux élèves de 1ère, encadrés par Mme Dizabeau, professeur d’histoire, ils ont passé une journée au Parlement Européen à Strasbourg, grâce au concours financier de la mairie de Charenton, afin de rappeler l’importance de la construction de l’Europe », énumère l’enseignante qui participe depuis quinze ans à un jumelage avec l’Allemagne (Notre-Dame-des-Missions étant liée depuis 32 ans au Liebfrauengymnasium, Etablissement privé catholique de la ville de Büren, en Rhénanie-du-Nord – Westphalie).
« Pour moi, être citoyen, c’est aussi participer à différentes commémorations, comme le 100e anniversaire de la fin de la Première Guerre mondiale en 2018 ou encore le ravivage de la flamme du soldat inconnu en 2015 ». Pour Laurence Krongelb, s’engager dans l’avenir est également important : elle a, par exemple, associé ses élèves de 2nde dans le projet d’aménagement du territoire du Grand Paris : « La mairie de Charenton proposant aussi des ateliers en milieu scolaire, j’ai immédiatement inscrit ma classe de 2nde et ma collègue Brigitte Brillant sa classe de 6ème. L’idée était de recueillir le regard des jeunes sur les enjeux du quartier et de la ville de demain. »
L’enseignante a également emmené régulièrement des élèves de 4ème suivre des audiences correctionnelles, au Palais de justice de Nanterre : « En une après-midi, ils peuvent assister à plusieurs affaires », poursuit le professeur, qui pose en amont en classe le cadre de la justice. « Je mets souvent l’accent sur la justice des mineurs, sujet qui intéresse tout particulièrement les élèves. L’étude de Claude Gueux, le roman de Victor Hugo, permet de pousser la réflexion sur la peine de mort. » Et à l’occasion, elle fait intervenir des professionnels du droit, comme dernièrement, une magistrate, jeune retraitée et grand-mère d’un élève, rencontre enrichissante », assure Laurence Krongelb.
Service National Universel
Pour elle, l’engagement citoyen va également désormais se traduire par le tout nouveau Service National Universel (SNU), programme mis en place en 2019 comportant un séjour de cohésion de deux semaines et une mission d’intérêt général. Il a été initié au sein de Notre-Dame-des-Missions par le professeur d’histoire et responsable de niveau des 2ndes, Gilles Moisan. Cette année, dix-huit élèves de 2ndes y ont participé. Les lycéens sont revenus enthousiastes. « Je trouve que c’est un outil très intéressant dans l’apprentissage de la citoyenneté et du vivre-ensemble, avec un véritable engagement citoyen », estime Laurence Krongelb.
Ces dernières années, le développement durable a pris une place primordiale dans l’exercice de la citoyenneté. Avec le label Éco-École (programme d’éducation au développement durable de la maternelle au lycée), Notre-Dame-des-Missions a créé un réseau d’éco-délégués cette année. « La méthode induit que les idées viennent des élèves, ce qui les rend très enthousiastes, voire même soucieux de montrer l’exemple et de faire preuve de pédagogie auprès de leurs camarades », témoigne les enseignantes Mmes Bonnemain et Labbé. L’année scolaire passée, ont été mises en place des poubelles pour le tri du papier dans les vingt-quatre classes de collège. Thème de la prochaine rentrée : les gourdes.
« J’avais déjà mené en 2019 une opération de collecte des stylos usagés, pour fabriquer du mobilier urbain, en partenariat avec la société de recyclage TerraCycle », se souvient Laurence Krongelb.
L’envie d’être utile
Pour elle, citoyenneté rime aussi avec solidarité. Au Sénégal, chaque année, des enfants et des adolescents interrompent leurs études faute de pouvoir acheter le matériel scolaire nécessaire. « Nous avons pu organiser une belle chaîne de solidarité avec l’acheminement par les lycéens de kits scolaires, constitués par les 5èmes pour l’ Etablissement du Sacré-Cœur, à Dakar et pour l’école de M’Boro, un petit village de la brousse . Près de 400 kilos de fournitures ont été acheminés », fait valoir l’enseignante.
En géographie, les élèves de 5èmes ont travaillé sur le thème de la richesse et de la pauvreté dans le monde. « En lien avec le programme d’EMC, nous avons décidé́ de monter une action concrète, en accord avec nos convictions personnelles et notre envie d’être utile », résume Laurence Krongelb. Elle s’est rapprochée du père Philippe, aumônier de l’école qui est engagé au sein de la Communauté de Sant’Egidio, une grande communauté chrétienne oeuvrant pour les pauvres et la paix . « Nous avons lancé un appel aux familles pour confectionner, avec les élèves, des colis pour les SDF du Bois de Vincennes, note l’enseignante. J’ai essayé de faire comprendre une nouvelle fois que chacun à son niveau et chacun à sa manière peut agir. Mes élèves ont pu voir l’aboutissement de leur action par le biais du témoignage des Tles qui avaient pris des photos. »
Des outils pour débattre
Stéphanie Lemaître, enseignante d'histoire géographie du lycée Jeanne-d’Arc à Étampes (94), propose à des Ateliers de réflexion éthique jeunes (Arej) pour apprendre à argumenter, échanger des points de vue et cultiver l'esprit critique, au service de la recherche du Bien commun.
Parce que certains enseignants peuvent parfois manquer d’outils, Véronique Huet a créé, il y a onze ans, une méthode, déposée à l’Inpi (Institut national de la propriété industrielle) : les Ateliers de réflexion éthique jeunes (Arej). « L’objectif est de faire entrer les élèves dans la réflexion éthique pour arriver à se comprendre, comprendre les autres et comprendre le monde. Cultiver l’esprit critique vise ainsi non seulement chercher du sens mais aussi apprendre pour agir », résume celle qui fut longtemps animatrice en pastorale scolaire dans l'Enseignement catholique avant de se lancer dans l'aventure étique.
Si la proposition est faite sur mesure pour chaque établissement, la formation des enseignants va porter sur « la posture communicationnelle et l’éthique de la discussion ». Ou comment faire en sorte d’amener les élèves à s’exprimer dans un cadre de droit et en tenant compte de l’autre. « Le but n’est pas que les élèves pensent comme les professeurs mais soient capables d’argumenter sur ce qui est juste comme bon », pointe la formatrice.
Depuis 2017, Stéphanie Lemaître, professeur d’histoire-géographie, a ainsi mis en place ces ateliers au sein de Jeanne d’Arc à Étampes, dans l’Essonne, sur l’initiative de l’adjointe en pastorale, Marie-Françoise Thuillier. Grâce à l’agrément académique, les ateliers Arej sont organisés sur les horaires de classe. « Au départ, nous avions décidé de l’imposer à chaque classe mais nous avons changé notre fusil d’épaule. Nous avons proposé ces ateliers sur la base du volontariat », explique-t-elle. L’année scolaire passée, ce sont ainsi vingt-cinq élèves de 2de qui ont suivi le parcours, représentant près d’un quart des élèves de ce niveau.
La première étape du parcours, autour du « Moi-toi-nous », permet de réfléchir autour de la dimension de la personne humaine. La deuxième étape va permettre, elle, d’apprendre à argumenter mais aussi de tenir compte la position adverse, tout en apprenant à reformuler afin de chasser les malentendus. La troisième étape va essayer de faire comprendre la difficulté de communiquer.
« Chaque année, nous choisissons un thème très général comme la performance, l’égalité, le progrès, etc. : les élèves sont à l’initiative des sujets abordés au sein du thème en question. Pour le progrès, ils s’étaient focalisés sur le système de notation citoyenne en Chine, par exemple. Pour l’égalité, ils se sont intéressés à la place des minorités en France », explique Stéphanie Lemaître. À chaque fois, les ateliers prennent des formes très abouties, avec des dimensions importantes de collaboratif, de jeu, de visualisation dans l’espace.
« L’un des points forts de cette méthode, c’est aussi d’apprendre à dire Je », note l’enseignante. En fin d’année, la restitution publique permet de faire un tour d’horizon de tous les ateliers. « Là, on est pleinement dans l’éducation à la citoyenneté, avec des choix libres : je sais qui je suis, d’où je viens et ce je peux envisager pour la société. » Sans oublier la joie d’apprendre et de découvrir la pensée des autres.
Visiter les camps pour conjuguer devoir de mémoire et lutte contre les discriminations
En matière de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et de manière plus générale contre toutes les discriminations, Laurence Krongelb s’est toujours particulièrement mobilisée pour emmener ses élèves sur les lieux de mémoire, qu’il s’agisse du camp d'internement de Drancy, plaque tournante de la politique de déportation antisémite française d'août 1941 à août 1944, du Camp des Milles, à Aix-en-Provence (13), seul grand camp français d'internement et de déportation (entre août et septembre 1942) encore intact, ou encore du tristement célèbre Auschwitz-Birkenau, le plus grand camp de concentration et d’extermination nazi, situé en Pologne.
Ce voyage d’étude peut être intégralement financé par le Conseil Régional d’Ile-de- France. Le Mémorial de la Shoah quant à lui étudie la pertinence et le sérieux des projets.
Au retour, les lycéens devront réaliser un panneau (80 X 200cm) racontant leur journée à Auschwitz. Ce kakémono constituera un des 28 panneaux de l’exposition organisée par le Conseil Régional, réunissant tous les participants de l’année au voyage.
En outre, à l’attention des professeurs, le Mémorial de la Shoah organise également une université d’été et d’automne ainsi qu’un voyage d’étude à Auschwitz.
L’enseignante a fait participer sa classe au projet Convoi 77, qui invite les élèves à écrire la vie des déportés de ce dernier grand convoi parti de Drancy pour Auschwitz le 31 juillet 1944 (cf. ECA 392, p. 46). « La rencontre avec Yvette Lévy, une des rares personnes à avoir survécu, a été un moment particulièrement chargé en émotions. Grâce au travail d’élèves français et étrangers, 268 biographies ont été rédigées à ce jour sur les 1 306 déportés du convoi ».
« Moi raciste ?! »
L’enseignante recommande volontiers d’organiser un voyage au Camp des Milles à Aix-en-Provence (13), situé à seulement 3heures de TGV depuis Paris-Gare de Lyon. En partenariat avec la Région, la Fondation du Camp des Milles a obtenu la gratuité des billets de train. En une journée intense, les élèves découvrent l’histoire de la tuilerie, transformée en camp d’internement dont 2 000 Juifs furent déportés à Auschwitz.
Sur place, elle lit des passages du « Diable en France » de Lion Feuchtwanger, écrivain interné et devant le wagon du souvenir, des extraits de « Au fond de l’abîme » du Pasteur Manen. Des ateliers réflexifs comme « Moi raciste ?! » ou « Complice ou résistant » complètent la journée d’étude et permettent d’analyser et de mieux comprendre les constructions mentales à l’origine du racisme et de l’antisémitisme. L’enseignante a, en outre, suivi au camp des Milles une formation pour devenir référente du dispositif national de Labellisation Citoyenne pour l'éducation contre les extrémismes, les racismes, l'antisémitisme et les discriminations.
D’autre part, le Camp des Milles peut attribuer à un professeur un « Label Citoyen » (porté par la Fondation du Camp des Milles et la Chaire Unesco "Education à la citoyenneté, sciences de l'homme et convergence des mémoires") afin de soutenir un projet de classe et récompenser les élèves du Brevet Citoyen attestant de leur engagement dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et l’aboutissement de leur projet.
Au final, ce sont peut-être les élèves qui parlent le mieux de l’implication de Laurence Krongelb dans l’enseignement à la citoyenneté et du résultat sur leur propre parcours. « Durant toute cette année de découverte, j’ai appris réellement les valeurs citoyennes de notre société. Toutes ces lectures, ces visites ou encore ces témoignages m’ont énormément apporté. Ils m’ont permis de grandir, de mûrir mais surtout de développer mon esprit critique. Ils ont formé la “nouvelle personne” que je suis actuellement », constate Alexandra en 2nde. « Ce qui était au début des sorties culturelles pour compléter notre programme scolaire est devenu une véritable aventure, une plongée au cœur de l’humain mais aussi au cœur de la déshumanisation la plus cruelle », conclut également Caroline, en 2nde également. « Peu de lycéens ont eu l’opportunité de fouiller dans les archives et de participer à tous ces voyages d’étude. Ceux-ci nous auront tous fait grandir afin de devenir des citoyens accomplis » écrit encore Camille.