« Eux, démunis, si près de nous »
Fin octobre, quatorze lycéens de l’Institution Notre-Dame-La-Riche, à Tours, se sont rendus sur l’île de Lampedusa où arrivent de nombreux migrants. Un voyage initiatique qui a changé leur regard sur le monde.
Par Éléonore Veillas
« J’ai vu des yeux briller quand j’ai commencé à parler à quelques élèves du voyage », se remémore Robin Durieux. Au départ, le dynamique adjoint de direction chargé de l’animation et la pastorale à l’Institution Notre-Dame-La-Riche, à Tours, voulait fédérer un groupe de jeunes chrétiens dans son établissement. En janvier 2015, au lendemain du « trop plein des fêtes », explique-t-il, l’idée d’aller à Lampedusa, sur les pas du pape François, lui apparaît comme une évidence. Cette île, située au sud de la Sicile, est depuis plusieurs années la porte d’entrée des migrants. « Avec ce pèlerinage, je voulais que ces jeunes soient capables de regarder en face les grands problèmes du monde, sans peur et en s’appuyant sur l’Église et la foi car la foi rend solide », explique Robin Durieux.
Pendant dix mois, les lycéens se sont préparés avec sérieux en lisant les discours du pape et la bible et en découvrant les lois qui régissent le droit d’asile. Leurs besaces de pèlerins pleines à ras bord de convictions, de doutes, et de questions, ils étaient fins prêts pour partir huit jours en Italie, du 22 au 30 octobre !
Une première étape les conduit à Assise, lieu symbolique du dialogue interreligieux, « où l’on comprend que s’asseoir à côté de l’Autre, est constitutif de la foi chrétienne », commente Robin Durieux. Puis, le groupe a poursuivi son voyage à Rome où il a écouté la voix de grands témoins, comme celle du cardinal Etchegaray. « Vous êtes en train d’ouvrir des portes, ne les refermez pas ! », a exhorté l’ancien président du Conseil pontifical Justice et Paix.
Témoigner pour changer les cœurs
Lors de la messe de clôture du Synode sur la famille, l’homélie du pape François a donné tout son sens à leur pèlerinage : « Quand le cri de l’humanité devient, (…) encore plus fort, il n’y a pas d’autre réponse que de faire nôtres les paroles de Jésus et surtout d’imiter son cœur ». Des paroles que le petit groupe a essayé de vivre concrètement pendant cette semaine de rencontres, comme en témoigne le père Julien Antoine, prêtre accompagnateur : «Tandis que nous nous préparions cette année, j’ai vu des jeunes qui changeaient de regard. Pendant le voyage, certains ont cheminé et approfondi leur relation avec le Christ ».
Puis est enfin arrivé, pour les lycéens, le moment tant attendu de découvrir l’île de Lampedusa et ses habitants. « Ces derniers ont été particulièrement touchés par notre présence. Ils avaient vu se succéder de nombreux hommes politiques mais des lycéens de Tours, c’était improbable », se souvient Robin Durieux. Le groupe a d’abord rencontré le curé de l’île qui lui a montré le pupitre utilisé par le pape lors de sa venue, fabriqué avec les restes d’un navire naufragé. Le groupe a aussi échangé avec la maire de Lampedusa qui a insisté sur la dimension humaine de l’accueil des migrants. Les jeunes ont pu en saisir toute l’urgence en écoutant le témoignage poignant de Costantino. Lors du terrible naufrage d’octobre 2013 qui avait coûté la vie à plus de 300 migrants, cet habitant de Lampedusa avait pu sauver en mer dix-huit personnes. « On a vécu deux jours d’une grande intensité, confie Robin Durieux. Ces jeunes m’ont épaté et ému. Le soir, ils avaient de grands temps de silence pour intérioriser, c’était très profond ». Seul regret pour le groupe, celui de n’avoir pu rencontrer des migrants, ces derniers étant désormais conduits dans des centres après avoir été secourus.
De retour en France, « les jeunes sont appelés à témoigner pour que les mentalités et les cœurs évoluent, explique le père Julien Antoine, mais aussi à faire fructifier au quotidien cette expérience ». Une démarche encouragée par Benoît Visse, le directeur de Notre-Dame-La-Riche, qui a fortement soutenu le projet, le thème d’année de son établissement étant : « Tous pèlerins ». « On compte sur ces jeunes pour parler du partage et diffuser ce message autour d’eux », explique-t-il. Prochaines étapes pour ces missionnaires : des témoignages dans d’autres établissements, une visite à la Conférence des évêques de France, à Paris, et au Parlement européen, à l’invitation d’une députée. L’aventure des pèlerins continue…
Six lycéens évoquent leur voyage en Italie, sur les pas du pape François.
Marius, 17 ans : Le pape François nous a guidés tout au long de notre pèlerinage par ses paroles et ses actes. Lors de l’Angélus, à Rome, il a dit que nous formions une grande famille et qu’il fallait marcher au rythme des plus pauvres, des migrants. Je n’ai pas envie de l’oublier. Maintenant, je veux continuer à le suivre comme je veux suivre Jésus. Ce pèlerinage a renforcé ma foi. Il m’a rappelé ce que Dieu me demande : aimer mon prochain.
Claire, 16 ans : Les rencontres avec les habitants de Lampedusa m’ont beaucoup apporté. Accueillir ou pas les migrants ? Ils ne se posent même pas la question. Pour eux, c’est naturel, c’est un devoir d’être humain de répondre à leurs premiers besoins et de les entourer. C’est une belle leçon pour nous. En France, on a tendance à parler des migrants en termes de chiffres et de problèmes, alors qu’on devrait leur apporter chaleur et affection. Depuis ce voyage, j’ai envie de participer aux actions du Secours Catholique et j’organise une collecte d’objets de puériculture pour Noël.
Cosme, 16 ans : J’ai été touché par le récit d’un couple qui avait sauvé d’un naufrage et recueillis chez eux plusieurs migrants. Ils nous ont raconté qu’ils avaient gardé le contact, et que tous s’en étaient bien sortis. Un des migrants tient aujourd’hui un restaurant à Marseille. Ils les considèrent comme leurs enfants. Je suis content aujourd’hui de pouvoir partager cette expérience et les témoignages que j’ai entendus.
Marie, 17 ans : À Lampedusa, je me suis rendue compte du décalage qui existe entre ce que nous racontent les médias en nous montrant une île qui s’est arrêtée de vivre, et la réalité. Sur place, on a vu des habitants heureux qui veulent faire marcher le tourisme, tout en accueillant des migrants. Aujourd’hui, j’essaie de faire vraiment attention à ce que j’entends à la télévision. Ce voyage m’a donné envie de continuer à m’informer pour mieux comprendre la situation des migrants.
Gaël, 15 ans : J’ai été marqué par les habitants de Lampedusa : ils ont changé leur façon de vivre pour accueillir les migrants. On a notamment rencontré une jeune femme qui racontait, qu’à 13 ans, elle allait déjà les aider. Je ne connais pas beaucoup de jeunes qui ont cette maturité. Le but de ce voyage, c’était d’ouvrir les yeux sur la réalité des migrants pour ensuite faire bouger les choses en France. C’est important pour moi, car ma mère est née en Syrie. Elle a aussi été aidée. Avec mes parents, on veut accueillir une famille de migrants.
Anne-Sophie, 17 ans : Le dernier soir à Lampedusa, alors que nous dînions, nous avons appris que deux bateaux de migrants arrivaient. J’ai ressenti comme un électrochoc devant le contraste : moi devant ma pizza et eux, démunis, si près de nous. Je me suis demandée : que puis-je peux faire ? À mon retour, j’ai eu envie d’aider. Je m’occupe des enfants d’une famille de migrants dans ma paroisse et je veux aussi être plus attentive aux personnes que je croise dans la rue.