La métalinguistique à l’école

Raisonnement métalinguistique
et jugement d’acceptabilité :
Réflexions sur
les nouveaux programmes de 2015.

Auteure : Eleni VALMA, Institut de Formation Pédagogique – Université Catholique de Lille –

Contact: evalma@ifp-npdc.fr

 IFP Lille

Les programmes de français de 2015 (cycle 3, p.122 ; cycle 4, p.242) posent la notion d’acceptabilité comme critère de réflexion sur la langue et notamment comme procédure de jugement de la production d’un énoncé . Ils stipulent la mise en place d’une discussion sur l’acceptabilité d’une production linguistique qui permettrait le développement de la posture réflexive chez l’élève et impliquerait des transformations didactiques de l’enseignement d’un phénomène grammatical. La notion d’acceptabilité reposerait sur les différents genres et situations d’énonciation (B.O. du 26 novembre 2016, cycle 4, p.244) .

Cette notion fait appel à un raisonnement complexe que l’élève met en place et que les recherches n’ont pas suffisamment étudié. La discussion sur l’acceptabilité invite l’enseignant à trouver des tâches engageant intellectuellement les élèves (par exemple, formuler une situation-problème en étude de la langue), proposer l’étude des corpus pertinents s’éloignant ainsi du corpus (très ?) normatif des manuels scolaires, et, enfin, reformuler les propositions des élèves en utilisant un métalangage adapté en accord avec la simplification terminologique des nouveaux programmes.
La notion d’acceptabilité – apparue dans les programmes – soulève un certain nombre de questions :

Quels seraient les savoirs enseignants et les connaissances préalables à l’étude d’un énoncé pour la mise en place de la discussion sur l’acceptabilité d’une production linguistique ?
Tous les manuels scolaires, proposent-ils les mêmes règles grammaticales ?
La question de grammaticalité, peut-elle trouver sa place dans les manuels scolaires ?
Admettre l’existence de différents degrés d’acceptabilité d’une construction, est-il un facteur d’inclusion ?
Quelle est la place de l’expression « individuelle » de chaque élève ?
Est-ce que la discussion autour de l’acceptabilité d’un énoncé est une question délicate ?

Avoir confiance dans les potentialités de l’élève, c’est lâcher prise, oser proposer des situations complexes sollicitant la recherche, les échanges, l’inventivité et concevoir l’apprentissage comme espace de coopération, où l’on construit ensemble et où l’on est intelligent ensemble [Mekhtoub, 2012 ]. Particularité de l’enseignement des faits de langue : l’enseignant n’accompagne pas l’élève dans l’acquisition d’une capacité nouvelle mais contribue à l’amélioration d’une capacité déjà existante. Or, malgré cette capacité (et efficacité dans l’acte de communication extra-scolaire), l’Ecole signifie parfois à l’élève qu’il est faible. L’élève peut ressentir la reprise de son expression comme un jugement négatif sur ce qu’il est. L’élève est un locuteur compétent et l’objectif de l’école doit être de le rendre performant (les termes sont ici employés dans le sens de Chomsky).

Quels seraient, alors, les enjeux didactiques de la discussion autour de la grammaticalité d’une production ?

Nous en identifions trois : mise en relation les habitudes langagières des élèves (langue de la connivence et des implicites) et des exigences scolaires, valorisation de la construction des savoirs par les élèves (échanges langagiers et productions orales/écrites) et, enfin, transformation de l’expérience personnelle d’usage du langage en discours distancié et objectivé.
Nous avançons l’hypothèse qu’une connaissance profonde de l’organisation interne du système linguistique et de l’articulation de différentes unités permettrait à l’enseignant d’une part d’inscrire la production de l’élève dans un schéma explicatif et logique, et d’autre part de rendre son explication convaincante. Situer la production sur une échelle intuitive d’acceptabilité est inévitable ; expliquer ce positionnement est nécessaire. Par exemple, sous quel angle étudier et analyser le futur simple en français afin de faire comprendre aux élèves l’incompatibilité de ce temps verbal et de la conjonction si dans les constructions hypothétiques ?

Certains enseignants se montrent sceptiques face à la place qu’occuperait la discussion sur la grammaticalité d’une production linguistique. Cette discussion est qualifiée de chronophage et même susceptible d’entrainer une confusion dans la procédure de l’acquisition d’une notion (nous citons « la pédagogie par erreur est prohibée »). Le positionnement de certains enseignants, que nous qualifierions de sclérosé, ne permettrait pas l’enrichissement de la règle grammaticale.

À titre indicatif, nous citons la façon dont le présent est analysé dans des constructions comme en (1) Je pars demain. Cette construction est souvent présentée comme réservée à l’expression orale. Or, cette forme est bel et bien constatée à l’écrit. Nous préconisons l’étude simultanée de toutes les expressions du futur : (1) Je pars demain, (2) Je vais partir demain, (3) Je partirai demain, (4) Je veux partir demain, (5) Je dois partir demain et enfin (6) Je peux partir demain. Nous arriverons, ainsi, à la conclusion que l’élément permettant de distinguer ces six constructions n’est guère l’opposition « expression orale – écrite » mais bien le différent degré de modalité et de prise en charge énonciative.

Certains enseignants affirment que leurs élèves, notamment issus des milieux défavorisés, éprouvent une « soif » de normalité. La grammaire est ainsi étroitement associée à la reconnaissance d’une certaine norme définie éventuellement par la compétence supposée d’un locuteur idéal. Il est bien connu que la question de locuteur idéal est bannie en linguistique et renvoie à la distinction « langue » et « parole » fortement critiquée par la sociolinguistique. Les enseignants ont également évoqué la question de maturité sans préciser s’il s’agit de la maturité cognitive (pouvoir raisonner) ou linguistique (raisonnement métalinguistique).
Le raisonnement métalinguistique débute pendant la phase d’observation. Les exemples fabriqués pour répondre aux besoins d’une certaine démonstration sont souvent des phrases simples, qui simplifient le phénomène à étudier. Travaille-t-on sur des observables attestés (et attestables) ou travaille-t-on sur des suites phrastiques normées et réglées par la grammaire ? La règle grammaticale correspondant au même phénomène ne fait pas l’unanimité dans les manuels scolaires. Nous préconisons l’observation du corpus attesté mais non littéraire qui ferait apparaître des constructions dont le degré de grammaticalité est discutable.
La discussion autour de l’acceptabilité d’un énoncé convoque des niveaux d’analyse linguistique jusqu’ici très peu utilisés en classe comme la pragmatique (l’implicite dans le discours et le context extra-linguistique). Cette discussion est susceptible d’enrichir les règles grammaticales d’un manuel scolaire ou d’une grammaire (par exemple, classer le verbe avoir parmi les verbes apparaissant dans une construction attributive ). Mais avant tout, cette démarche révolutionnerait les pratiques et tiendrait compte de l’usage de la langue en analysant essentiellement son aspect socio-linguistique.

Bibliographie :

 

  • BAUTHIER Elisabeth. 2008. « Ambitions et paradoxes des pratiques langagières scolaires : constructions au quotidien des inégalités sociales d’apprentissage ». Actes du colloque « Ce que l’école fait aux individus ». Nantes : CENS & CREN.
    Consultable sur http://www.cren-nantes.net/IMG/pdf/Bautier.pdf
  • BOURDIEU Pierre. 1966. « L’école conservatrice. Les inégalités devant l’école et devant la culture », In : Revue française de sociologie n°7.
    BOUTET ROSIANE. 1986. « Jugements d’acceptabilité et raisonnements métalinguistiques ». In : ELA n°62. p.40-58.
  • CHABANNE Jean-Charles & Dominique
  • BUCHETON. 2008. « Les écrits intermédiaires pour penser, apprendre et se construire ». In : Québec français n°149. p.60-62.
  • CHARAUDEAU Patrick. 2001. « De l’enseignement d’une grammaire du sens ». In : Le français aujourd’hui n°135. p.20-30.
  • CLEMENCEAU Claire. 2013. Les pratiques d’écriture scolaire en question. Mémoire de master. Lille : IFP.
  • DESCLES Jean-Pierre & Zlatka GUENTCHEVA. 1991. « Test et acceptabilité ». In : Histoire – Epistémologie – Langage 3/II. p.9-25.
  • MEKHTOUB Nadia (sous la direction de). 2012. Enseigner le français à tous les élèves – Réponses aux difficultés du collège. CRDP de l’académie de Créteil.
  • PARET Marie-Christine. 1992. « La grammaire en classe : laquelle ? Et pourquoi faire ? ». In : Québec français n°84. p.30-34.
  • PARET Marie-Christine. 2000. « Enseigner stratégiquement la grammaire ». In : Québec français n°119. p.54-57.
  • SAUTOT Jean-Pierre & Solveig LEPOIRE-DUC. 2010. Expliquer la grammaire – Comprendre les concepts de la langue. CRDP de l’académie de Grenoble.
  • SIMARD Claude & Suzanne CHARTRAND. 2012. Grammaire de base. Bruxelles : De Boeck.
  • VALMA Eleni. 2013. « Discuter en classe de la grammaticalité et et de l’acceptabilité d’une phrase ». Colloque International "Si j'aurais su, j'aurais pas venu ! Linguistique des formes exclues : descriptions, genres, épistémologie". Université Libre de Bruxelles, 19-22 juin 2013.
  • VALMA Eleni. 2016. « T’as de beaux yeux, tu sais ! » Interface entre la construction transitive et la construction attributive » http://scolagram.ucergy.fr/index.php?option=com_flexicontent&view=category&cid=20&Itemid=795

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