Les défis post-mastérisation

Voici une réflexion documentée et approfondie sur les dernières transformations de la formation des enseignants, leurs déclinaisons dans l’enseignement catholique et les défis encore à venir. Signé par Yann Diraison, secrétaire général adjoint de l’enseignement catholique, en charge du Pôle Ressources humaines, cet article a été publié dans la revue Administration et Éducation de juin 2017.

Yann Diraison, Adjoint au Secrétaire général PÔLE RESSOURCES
Yann Diraison, Adjoint au Secrétaire général de l'Enseignement catholique.

Huit ans ... Un temps à la fois court, au regard de l'ampleur des réformes engagées, et long pour tous les acteurs investis dans ces années de profond bouleversement du paysage de la formation initiale des enseignants. Un temps suffisant pour commencer à dresser un bilan, jalonner un avenir et consolider un nouveau modèle de formation dont l'équilibre est encore instable et précaire.
Nous décrirons d'abord les deux premières phases de la mise en œuvre de la réforme que nous avons pris l'habitude d'appeler« première » et« seconde mastérisation » avant de nous arrêter sur deux défis qui, selon nous, restent à relever.

La première mastérisation de 2009 : entre opportunité et difficultés

Dès les premières informations diffusées, discrètement, à partir de 2008 sur la mastérisation de la formation des enseignants, l'Enseignement catholique se saisit de ce projet parce qu'il lui semble qu'il est de nature à permettre de progresser vers un objectif recherché depuis des années : l'unification de la formation de TOUS les enseignants. Le choix est fait de s'engager sans hésitation dans la réforme en construisant un partenariat entre les ISFEC (Instituts supérieurs de formation initiale de l'Enseignement catholique), et les cinq instituts catholiques.

Ce choix s'accompagne d'un certain nombre de décisions de cadrage:

  • Un seul type de master sera créé pour assurer la formation de TOUS les enseignants
  • Le M 1 sera structuré autour d'un tronc commun de formation concernant le premier et le second degré et donc toutes les disciplines y compris les disciplines technologiques et professionnelles.
  • L'engagement de discussions avec l'État pour adapter à la réforme les conditions de la formation des enseignants exerçant dans les établissements catholiques, issues des accords de 1992, dit« Lang-Cloupet » ;
  • La création d'une instance de coordination et de suivi de la mise en œuvre de la réforme : Le Comité de veille de la formation initiale et du recrutement. Ce comité qui rassemble des représentants des différents partenaires concernés (y compris chefs d'établissement et enseignants) est chargé de proposer au Secrétaire général de l'Enseignement catholique et aux instances dirigeantes de l'Enseignement catholique les décisions d'harmonisation jugées nécessaires.

Un travail intense et rapide, qui a durement sollicité les équipes, aboutit, en un temps record à la construction de sept maquettes de master dit MEF « Master de l'enseignement et de la formation», chaque master couvrant une partie du territoire.
Il est immédiatement envisagé de faire valider ces masters via des conventions entre des universités publiques et les instituts catholiques. Mais compte tenu de l'urgence dans laquelle se met en place la réforme, c'est par jurys rectoraux que se feront les validations des premières années. En effet, une première difficulté apparaît dès l'écriture des sept maquettes de master: l'Enseignement catholique a fait un choix radicalement différent de celui fait pour l'enseignement public qui construit des masters distincts pour le premier et le second degré et, dans celui-ci, propose une approche d'abord disciplinaire. Nos masters sont donc si spécifiques qu'aucune convention n'apparaît, d'emblée, possible. Les sept maquettes seront donc déposées à la DGESIP et recevront une sorte d'habilitation tacite quasi sui generis.

S'ensuit cette première phase de 4 années d'instabilité et de modifications incessantes du cadre réglementaire et des conditions de mise en œuvre de la réforme: concours, stage, validation ... Tout change en permanence, l'information donnée aux étudiants et candidats au professorat est incertaine et floue, le recrutement s'en ressent (le nombre de candidats pour un poste aux concours de recrutement de l'enseignement privé associé à l'État par contrat descend à un pour trois en premier degré et un pour deux en second degré). Ces changements déstabilisent les équipes des ISFEC et des universités et instituts catholiques; parallèlement l'année de stage à double plein temps pour bon nombre de stagiaires apparaît vite comme impossible ...

La seconde mastérisation :
entre confirmation des choix et nouveaux défis

C'est dans ce contexte que l'Enseignement catholique reçoit avec soulagement et satisfaction les premières esquisses de la seconde mastérisation : la création d'une année de stage à mi-temps est immédiatement perçue par les équipes chargées de la formation et les enseignants comme une réponse satisfaisante aux limites constatées dès les premières années de la réforme précédente. Bien plus, la création des masters MEEF conforte l'intuition d'origine de l'Enseignement catholique : la formation des enseignants est d'abord conçue comme une formation à métier unique. Simultanément, la parution du référentiel métier qui décrit quatorze compétences communes à tous les professeurs avant d'aborder les questions disciplinaires confirme cette nouvelle orientation.

L'Enseignement catholique est immédiatement à l'aise dans le cadre de cette seconde mastérisation. Ce nouveau changement est, en conséquence, bien accueilli, malgré les nouveaux bouleversements qu'il induit. Ce d'autant plus que la relecture des sept maquettes initiales des masters montre qu'elles s'adaptent facilement au nouveau cadre. En quelque sorte cette seconde mastérisation est reçue, dans l'Enseignement catholique comme une confirmation des orientations fondamentales de son projet de formation accompagnée d'une adaptation-correction des erreurs commises lors de la première réforme.
C'est donc l'ensemble de l'Enseignement catholique qui s'adapte à ce nouveau contexte:

  • Les sept maquettes sont à la fois confirmées et modifiées en intégrant la nouvelle donne de l'année de stage en alternance;
  • Les accords sur l'emploi sont modifiés, avec l'accord des organisations syndicales, pour permettre la réservation de supports d'emplois de stage (appelés« berceaux») afin d'offrir aux stagiaires des conditions d'exercice les plus favorables possibles ;
  • Un travail est conduit avec le ministère de l'Éducation nationale pour adapter les procédures de validation des stages aux spécificités de l'enseignement privé associé à l'État par contrat;
  • Une nouvelle dynamique de recrutement est lancée avec notamment la création d'un site internet« devenir-enseignant».
    Parallèlement un accord est conclu en juin 2013 entre le ministre de l'Éducation nationale et le Secrétaire général de l'Enseignement catholique pour adapter les accords de 1992 au nouveau contexte de formation des enseignants.

Un enjeu colossal, des fragilités certaines, un avenir à consolider

À la fin de l'année scolaire 2016/2017, est-il possible d'esquisser un bilan? Est-il permis de tracer un avenir?

La stabilisation apportée par la seconde mastérisation est incontestable. Après les premières années d'incessantes et angoissantes modifications, l'ensemble des acteurs engagés dans le système de formation peut désormais travailler plus sereinement. Les étudiants, et les candidats à la profession ne s'y sont pas trompés d'ailleurs. Après avoir enregistré pendant quatre ans, une baisse régulière du nombre de candidats aux concours de recrutement, on observe, avec satisfaction, un timide mais certain renouveau de l'attractivité du métier d'enseignant. Pour les concours de recrutement destinés à l'enseignement privé associé à l'État par contrat, le nombre de candidats par poste remonte pour s'établir désormais à cinq candidats pour un poste dans le premier degré et en, moyenne, trois candidats par poste dans le second degré. Ces chiffres masquent cependant une inquiétante permanence de la pénurie de candidats dans les matières scientifiques.

Après la période pionnière, une phase de consolidation peut donc s'ouvrir. Mais il serait imprudent de croire que tout est réglé, que les difficultés sont derrière nous, que l'édifice est solidement installé. De nombreuses fragilités demeurent; des questions restent ouvertes; des choix fondamentaux n'ont pas été tranchés; l'équilibre économique de cette nouvelle formation est délicat. Parmi les défis encore à relever, nous en pointerons deux, d'inégale importance : l'adéquation entre le modèle économique et les nécessités de la proximité d'une part, l'adéquation entre le modèle de formation et le modèle de recrutement d'autre part.

La contrainte économique :
entre rationalisation et proximité

La fragilité du modèle économique est sans doute, aujourd'hui la menace la plus sérieuse qui peut remettre en cause la construction en cours, du moins dans l'Enseignement catholique.
Le financement de la formation initiale des enseignants se destinant au professorat dans un établissement d'enseignement privé associé à l'État par contrat est assuré par deux apports :

  • Un financement public, issu de la loi, et confirmé par l'accord de 2013 évoqué précédemment ;
  • Une contribution des étudiants eux-mêmes sous la forme de frais de scolarité.

Pour des raisons différentes, contraintes budgétaires d'une part, volonté de ne pas restreindre les potentialités de recrutement d'autre part, ces deux sources de financement sont mesurées à un strict minimum vital. La gestion de la formation initiale est donc, dans l'Enseignement catholique, une performance permanente reposant sur un engagement sans faille de ses responsables mais donnant des inquiétudes sur la pérennité même du modèle de formation construit. Certes la recherche de mesures d'optimisation est toujours possible mais après avoir assez vigoureusement resserré nos structures de formation en fusionnant des instituts voire en en fermant certains, nous nous heurtons désormais aux contraintes de l'alternance et de l'indispensable proximité des lieux de formation avec les établissements de stage. Sorte de quadrature du cercle quand cette contrainte doit être vécue dans une quarantaine de disciplines de concours dans le second degré.

Une première expérimentation de mutualisation est en œuvre depuis trois ans : elle consiste, pour une quinzaine de disciplines dont le recrutement est régulièrement assez faible, à avoir dressé une carte nationale de formation désignant un institut responsable de la formation didactique disciplinaire pour l'ensemble du territoire, dans une discipline donnée, tout en laissant à l'Institut de proximité, la responsabilité globale de la formation et de l'évaluation. Un bilan de cette expérimentation est en cours.

D'autres pistes sont recherchées car cette mutualisation nationale oblige les stagiaires à des déplacements parfois importants même si l'organisation globale veille à les limiter. Ces déplacements entraînent des frais de transport et d'hébergement, remboursés aux stagiaires, enchérissant le coût total de la formation.

Une réflexion est lancée pour inventer d'autres formes de mutualisation fondées sur une harmonisation de la formation de tous les stagiaires (quels que soient les concours de recrutement: externes, internes, réservés). Nous savons déjà qu'une telle organisation devra résoudre plusieurs difficultés parmi lesquelles la question de l'ORS2 des stagiaires (les stagiaires des concours externes bénéficient d'une ORS à mi-temps alors que les stagiaires des concours internes et réservés exercent à plein temps).

Cette fragilité économique devra trouver réponse. À long terme le système de formation de l'Enseignement catholique ne peut être soumis aux tensions qu'il supporte depuis 8 ans.
Un autre défi, encore plus important à nos yeux, parce que plus global et plus impactant encore doit être relevé : celui de l'articulation entre le modèle de formation et le modèle de recrutement.

Une intégration toujours à faire :
modèle de formation et modèle de recrutement

Même si les améliorations apportées par la seconde mastérisation tendent vers une meilleure intégration des deux modèles en un seul et même processus, force est de constater que l'objectif n'est pas atteint. Nous ne sommes toujours pas, vraiment, dans un processus unique, totalement cohérent et harmonisé, de formation et de recrutement. Reconnaissons que nous sommes passés d'une « superbe ignorance » à une « recherche d'harmonie » .Mais l'harmonie demeure instable.
Les difficultés de l'année de stage, la quasi impossibilité de parvenir à une évaluation vraiment concertée entre la partie universitaire de l'alternance et la partie professionnelle, les impasses créées par des évaluations non concordantes ... Autant de signes d'une intégration imparfaite.

Ce sujet est au cœur des interrogations des acteurs de la formation initiale des enseignants. Toutes finissent par poser la question de la place du concours ou la question de son contenu. On sait l'attachement viscéral de notre pays au concept jugé fondamental du concours censé garantir à la fois l'égalité d'accès à la profession d'enseignant et la valeur du recrutement porté par la méritocratie républicaine. Même s'il m'arrive, à titre personnel, de penser que cet attachement quasi religieux au concours comme seul mode de recrutement est peut-être l'un des signes de la difficulté de notre pays à se réformer, je suis en même temps persuadé que notre pays n'est pas prêt au grand soir en ce domaine. Pas tout de suite.

Il me semble alors que le courage impose de dire que la question centrale n'est pas celle de la place du concours (on sait que chaque place a ses inconvénients et ses avantages, on n'inventera pas la place idéale). Non la question essentielle est celle du contenu des concours. Et la réponse à cette question est connue : le contenu des concours de recrutement est le reflet de la conception que nous avons du métier d'enseignant.

Or force est de constater que l'énorme avancée apportée par le référentiel du métier d'enseignant de 2013 n'a pas encore trouvé sa traduction dans le contenu des concours. Malgré quelques aménagements marginaux, nous continuons de recruter par des concours disciplinaires, des professionnels dont le référentiel n'est pas strictement disciplinaire, il suffit, pour s'en convaincre, de compter, les items, les lignes, les mots, à 95 % constitués de compétences non strictement disciplinaires. Nous ne pourrons réellement harmoniser formation et recrutement que lorsque ce hiatus aura été résolu.

Il est absolument nécessaire de réformer résolument le contenu des concours afin de ne plus entendre ce constat, à mes yeux absolument consternant, d'un membre d'un jury de concours de recrutement commentant ainsi les résultats des candidats de l'enseignement privé associé à l'État par contrat « Je pense que vous préparez mieux vos candidats à l'exercice de leur futur métier plutôt qu'au concours ... ». Et si nous décidions que le métier devant durer 40 ans, il doit nécessairement soumettre ce qui n'est finalement qu'une porte d'entrée rapidement franchie ?

Ce serait finalement peut-être le souhait principal que je formulerais en terminant cette description de la mise en œuvre des réformes de la formation initiale des enseignants au sein de l'Enseignement catholique: que l'on franchisse encore une étape, que l'on aille jusqu'au bout d'une logique et que le choix de la professionnalisation clairement fait pour le métier soit aussi clairement opéré pour le contenu des concours de recrutement. Ainsi, l'intégration des modèles de formation et de recrutement dans un seul et unique modèle deviendrait vraiment possible.

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