«Les enfants les plus vulnérables sont ceux dont les droits sont les moins respectés»

Ce 20 novembre 2019 sont célébrés les trente ans de la Convention internationale des droits de l’enfant.
À cette occasion et au lendemain de son intervention devant les directeurs diocésains, Jacques Toubon, Défenseur des droits, dresse un bilan en demi-teinte de son application en France.
Premier sujet d’inquiétude : la scolarisation des enfants en situation de handicap et celle des mineurs non accompagnés.

Interview de Jacques Toubon, Défenseur des droits,
Propos recueillis par Aurélie Sobocinski

 

La Convention internationale des Droits de l’Enfant fête ses 30 ans. Où en est la France de son application ?

Jacques Toubon : Le bilan de l’application en France des droits inscrits dans la Convention est en demi-teinte. Être un enfant ne signifie pas que les adultes doivent prendre des décisions qui le concernent sans lui laisser la possibilité de s’exprimer. La notion de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans les décisions qui sont à prendre concernant sa situation. Dans beaucoup de domaines nous sommes loin de ces principes.

Suite au dernier examen périodique de la France en 2015 par le comité des droits de l’enfant de l’ONU, basé à Genève, nous avons créé avec mon adjointe, la Défenseure des enfants et le concours de représentants de la société civile, un dispositif indépendant et inédit de suivi de la mise en œuvre par l’État des observations finales du Comité des droits de l’enfant. Il y a eu des progrès évidents, notamment l’interdiction récente dans le code civil des châtiments corporels qui correspond à l’une des recommandations du Comité. Cependant, des disparités sociales et territoriales importantes persistent dans la mise en œuvre de la CIDE selon la situation des enfants, leurs besoins et leurs problématiques. Par exemple, l’accès à l’école pour les enfants vivant en hôtel social ou dans un campement ou la scolarisation des enfants en situation de handicap sont des sujets qui nous préoccupent.

Les réclamations que nous traitons, en augmentation, démontrent que les enfants les plus vulnérables sont ceux dont les droits sont les moins respectés. Les réclamations portent en majorité sur des questions en lien avec la protection de l’enfance, la santé, la scolarisation, l’éducation, le handicap, les enfants étrangers etc.

 

Quelle est la place des enfants dans ce comité de suivi ?

J.T. : Comme le reconnaît l’article 12 de la CIDE, tous les enfants ont le droit d’être entendus sur les questions qui les concernent. Or, selon le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, peu de progrès ont été réalisés en France s’agissant de garantir systématiquement le respect de l’opinion de l’enfant dans tous les domaines de sa vie. C’est pourquoi, avec la Défenseure des enfants nous avons lancé une consultation nationale appelée « J’ai des droits, entends-moi ! ». Elle a pour premier objectif de rendre effectif ce droit d’être entendu afin de permettre aux enfants d’être acteurs de leurs droits.

2200 enfants de 4 à 18 ans ont participé à cette consultation, avec l’appui d’une cinquantaine d’associations. Ils ont formulé 276 propositions qui seront présentées le 20 novembre prochain, au moment du 30ème anniversaire.

 

Quels en sont les principaux leviers en faveur de cette éducation au droit et quels en sont les premiers résultats ? 

J.T. : Dans le cadre de notre action en faveur de la défense et de la promotion des droits de l’enfant, nous avons lancé le projet d'éducation des enfants et des jeunes au(x) droit(s) : « Educadroit » avec l’objectif de sensibiliser, dans un langage non académique, les enfants et les jeunes au droit et à leurs droits.

Ce programme n’a pas pour but de fournir un apprentissage académique de notions juridiques mais plutôt de faciliter un processus de questionnement et de réflexion des enfants et des jeunes. Dix thèmes ont été retenus pour répondre aux questions que se posent les enfants et les jeunes sur la matière juridique et les inviter à participer activement à la vie sociale et politique.

Educadroit est un outil qui permet aux enseignants, éducateurs, animateurs, parents et professionnels du Droit dans les cadres scolaire, péri et extrascolaire, d’aborder avec les enfants et les jeunes, les grands sujets de notre société, comme l’égalité des droits, les discriminations, la confection des lois, en favorisant l’échange pacifique de points de vue. Le projet repose en effet sur un réseau d'acteurs concourant à l’éducation des enfants et des jeunes au(x) droit(s), que nous accompagnons dans l’utilisation de nos outils.

Enfin, le Défenseur des droits dispose d’un programme appelé JADE (Jeunes Ambassadeurs des droits auprès des enfants et pour l’égalité).  En 2019, 94 JADE étaient répartis dans 21 départements de la métropole ainsi qu’à la Réunion et à Mayotte. Plus de 59 000 enfants et jeunes ont été sensibilisés dans 592 établissements scolaires ou structures accueillant des jeunes hospitalisés, en situation de handicap, sous la protection de l’aide sociale à l’enfant, en conflit avec la loi ou encore des mineurs non accompagnés. Ce programme, qui existe depuis 11 ans, est en constante progression.

 

Où en est l’Ecole de l’accueil et de l’accompagnement des enfants porteurs d’un handicap ?

De la Convention aux Actes

Passer de la Convention aux actes, c’est l’objectif d’un collectif d’une trentaine d’ONG engagé auprès des enfants dont plusieurs partenaires de l’Enseignement catholique -apprentis d’Auteuil, ATD-quart monde, Amae-Sœur Emmanuelle, Jets d’encre ou le Bice.

Pour se faire ils ont élaboré ensemble, en se fondant sur la participation de jeunes, douze actes recèlant des recommandations pour mettre véritablement en œuvre la Convention des Droits de l’enfants. Ce travail a été présenté lors de la célébration du trentenaire de la convention, le 20 novembre dernier à l’Unesco.

Saluant l’engagement associatif en faveur de la protection de la jeunesse, le président Emmanuel Macron a eu « une pensée particulière pour les professeurs » et invité à ne pas oublier « le droit  l’innocence » qui permet aux enfants de « découvrir la vie avec bonheur ».

Il a pointé trois leviers d’action essentiels engagés : le combat pour l'éducation de la petite enfance, l’accompagnement des élèves fragiles et la mise en œuvre de l’obligation scolaire à 3 ans dans les territoires ultra marins notamment.

Application de l’article 16 école de la confiance pour obliger maires à accueillir enfants et jeunes , présomption de minorité et systématisation des contrats jeunes majeurs… Richie jeune gitan a ainsi complété les propositions faites pour éviter que certains jeunes restent exclus de l’école, propositions auxquelles le Recteur de Paris Gilles Pécout a prêté une oreille attentive.

 

Les actes sur le champ de l’éducation :

  • Mettre en place un observatoire national de la non-scolarisation
  • S’assurer que chaque enfant, et notamment chaque mineur non accompagné, ait une affectation scolaire sans délai
  • Reconnaître, favoriser et promouvoir la médiation éducative

 

Concernant les autres domaines, il a été indiqué que les conseils municipaux de jeunes continuaient d’évoluer vers des modèles plus inclusifs soucieux d’associer les plus fragiles. En revanche, Mr Toubon, le défenseur des droits a a souligné combien l’article 12 sur la participation des jeunes à des décisions les concernant demande encore à être approfondi. UN point d’alerte qui fait écho aux pistes de réflexion et d’action engagées dans l’enseignement catholique pour mieux prendre en compte la parole des jeunes.

Parmi les nombreux acteurs associatifs investis dans cette dynamique, l’association de prévention des maltraitances « les maux mots pour le dire » présidée par Maitre Danielle Gobert a manifesté son souhait d’engager des partenariats avec l’Enseignement catholique.

J.T. : J’ai rendu en avril dernier un avis sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République. Si depuis la loi de février 2005 le nombre des enfants scolarisés a fortement augmenté (plus de 340.000 à la rentrée 2017-2018 contre 151.000 à la rentrée 2005-2006) , je déplore cependant que les principes auxquels souscrit la France ne soient toujours pas réellement et suffisamment pris en compte dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques en matière de handicap, alors même que la France est régulièrement rappelée à l’ordre par les instances onusiennes et européennes pour violation de ses engagements.

Chaque année, le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés augmente. C’est un point positif. Pour autant, plusieurs milliers d’entre eux ne sont toujours pas scolarisés, ou bien ne le sont qu’à temps partiel. Pour la majorité d’entre eux, cette scolarisation est intimement liée à la présence d’accompagnants (AESH).

Le handicap et l’état de santé représentent 18,4 % des plus de 3000 saisines relatives aux droits de l’enfant adressées au Défenseur des droits en 2018.

Nous constatons des atteintes aux droits des enfants en situation de handicap à bénéficier d’une éducation inclusive. Ils ne bénéficient pas toujours des aménagements de leur scolarité et des réponses adaptées à leurs besoins en matière d’accompagnement humain, tant dans les établissements publics d’enseignement que les établissements privés d’enseignement sous contrat avec l’État. Les difficultés d’inclusion se retrouvent également lors de l’accueil des enfants dans les activités périscolaires.

Il est essentiel de rappeler que l’école inclusive implique prioritairement qu’elle s’adapte, formation des enseignants, adaptation de la scolarité, ... aux besoins des élèves en situation de handicap et que l’accompagnement humain ne peut pas être la seule réponse à l’inclusion de ces enfants. L’enjeu va être d’autant plus important avec la scolarisation obligatoire des enfants dès 3 ans, y compris les enfants handicapés.

Jacques Toubon s’est aussi exprimé sur le fichier biométrique d’appui à l’évaluation de la minorité, introduit par la loi asile et immigration de 2018.

Lorsqu’un jeune demande la protection d’un département, les préfectures peuvent désormais le convoquer pour relever ses empreintes, prendre une photo ou encore vérifier dans le fichier européen de demandes de visa (Visabio) s’il a sollicité par le passé un visa sous une identité majeure. Les préfectures vérifient aussi l’authenticité des documents d’identité qu’il présente.

Dix-neuf requérants, parmi lesquels Unicef France, le Secours­ ­catholique ou encore la Ligue des droits de l’homme, ont attaqué ce fichier devant le Conseil d’Etat.

Dans le cadre de ce contentieux, le Défenseur des droits, a fait observer que ce fichier a vocation à « organiser la gestion des flux migratoires au mépris de l’intérêt supérieur des enfants » et fait une « confusion entre évaluation de minorité et contrôle d’identité à finalité répressive », notamment parce que les préfectures pourront éloigner un jeune si le département considère qu’il est majeur, alors même que cette évaluation est « susceptible d’être remise en cause par l’autorité judiciaire [le juge des enfants] ».

 

Les mesures actuelles -mutualisation des accompagnants au sein des Pial, transformation des postes d’AVS en AESH – vont -elles dans le bon sens ?

J.T. : La création d’un statut pérenne d’accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH), qui permet un recrutement en CDI, n’a pas résolu à lui seul les problèmes de recrutement et de stabilisation dans l’emploi des AVS. Je constate ainsi des difficultés récurrentes à recruter du personnel qualifié sur des postes considérés comme peu attractifs (temps partiels, niveau des rémunérations). Les nouvelles dispositions du projet de loi pour une école de la confiance pourraient contribuer à une meilleure stabilité dans l’emploi de ces personnels, en prévoyant leur recrutement sur un contrat de trois ans, renouvelable une fois. Les réclamations adressées au Défenseur des droits font également apparaître un manque de coordination dans le recrutement des AVS entre les rectorats et les établissements d’enseignement privés sous contrat. Je recommande donc de clarifier les conditions de recrutement des AVS dans ces établissements.

 

Sur la question de l’accueil des mineurs non accompagnés, vous avez pointé un certain nombre de contradictions. Y a -t-il des évolutions ?

 

J.T. : La pensée officielle qui prédomine est de considérer les mineurs non accompagnés d’abord comme des étrangers et non comme des enfants en situation de danger. Les départements doivent les prendre en charge dans le dispositif de l’aide sociale à l’enfance et non pas l’Etat dans la filière migratoire. Je connais les réalités de contraintes budgétaires mais ces enfants doivent être accueillis, mis à l’abri et protégés. Le droit à l’éducation est aussi un sujet pour ces jeunes. L’accès à l’école est un droit qui peine encore à être effectif. Dans notre rapport de 2016 « Droit à l’éducation : une école pour tous, un droit pour chacun » sur l’éducation, nous avions porté une attention sur les élèves allophones. Aucun texte n’impose l’ouverture d’un nombre déterminé d’unités en fonction du nombre d’enfants allophones arrivants. Ainsi, les dispositifs existants peuvent être saturés, ce qui peut entrainer des délais d’affectation au collège ou au lycée de certains enfants.

 

Vous rappeliez en 2016 le chiffre de 3 millions d’enfants vivant sous le seuil de pauvreté en France. Quelle doit être la part de l’École ?

 

J.T. : Si l’enseignement en France s’est considérablement démocratisé, les écarts de réussite et de parcours entre les milieux sociaux n’en demeurent pas moins importants et se sont même accentuées depuis les années 2000. Sur les 10 dernières années, on constate un accroissement des écarts de niveau entre les élèves issus de familles aisées et ceux de familles défavorisées et une augmentation du nombre d’élèves en difficulté. Depuis 2002, le poids de l’origine sociale sur les performances des élèves a augmenté de 33% et l’école française est aujourd’hui celle où l’origine sociale des enfants influe le plus sur le niveau scolaire. La réponse appartient à une évolution de la société tout entière et au-delà de l’école. Quant à l’école, j’ai insisté sur le rôle de la cantine pour tous.

La cantine scolaire, service public facultatif pour les écoles maternelles et élémentaires, est un droit pour toutes les filles et tous les garçons scolarisés et il ne peut être établi aucune discrimination selon la situation de l’enfant ou celle de sa famille. Réserver l’accès à la cantine aux enfants dont les parents travaillent, restreindre l’accès à la cantine aux enfants en grande précarité sociale, ne pas mettre en œuvre l’obligation d’aménagement raisonnable pour les enfants en situation de handicap, appliquer des tarifs différenciés pour certains enfants porteurs de handicap ou en lien avec leur état de santé constituent autant de discriminations fondées sur des motifs prohibés.

En l’absence de service public obligatoire l’effectivité du droit à la cantine pour tous les enfants de primaire se révèle tributaire des inégalités territoriales. C’est pourquoi, j’ai recommandé dans mon rapport « Un droit à la cantine scolaire pour tous les enfants qu’une réflexion sur l’évolution du statut de service public de restauration scolaire soit amorcée.

 

Avez-vous un message à adresser aux chefs d'établissement de l’Enseignement catholique et à leurs équipes?

 

J.T. : Le droit à l’éducation est un droit fondamental qui doit être effectif pour tous les enfants, quelle que soit la situation administrative des parents, leur origine, leur position sociale, leur vulnérabilité. L’école est le principal lieu de vie des enfants et il se doit d’être égalitaire, inclusif et respectueux des droits fondamentaux qui sont des droits irréfragables. L’intérêt supérieur de l’enfant, d’abord !

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