L’Enseignement catholique s’exprime sur la réforme du lycée
Réformes du bac et du lycée:
l’analyse de Pascal Balmand
Pascal Balmand, secrétaire général de l'Enseignement catholique, partage ici son analyse de la réforme du baccalauréat et son impact sur le lycée.
« Comme toute modification d'une telle envergure, la réforme du baccalauréat et avec elle celle du lycée général peuvent susciter des réactions diverses, allant du rejet pur et simple à l'adhésion la plus totale, en passant par tous les stades intermédiaires. L'important consiste cependant à garder raison : les enjeux de l'école requièrent un effort d'analyse rationnelle, et non la facilité de la pensée binaire – qui n'est pas une vraie pensée.
Cela vaut d'autant plus que, ni en amont ni en aval, nous ne nous trouvons à proprement parler dans un calendrier d'urgence.
- D'une part, le neuf se nourrit d'une réflexion déjà ancienne, marquée par exemple en leur temps par le rapport Gaudemar, le projet de réforme Darcos ou le rapport Descoings. Et il s'appuie sur tout un travail de concertation, celui de Pierre Mathiot d'abord, celui de Jean-Michel Blanquer et de son équipe ensuite.
- D'autre part, nous avons un peu de temps devant nous. Diverses questions restent ouvertes, et je m'en réjouis, car cela prouve qu'il y a bien de la place pour la réflexion et pour la concertation. Le calendrier proposé est le suivant : en mars - avril 2018, une nouvelle phase de consultation ministérielle autour des modalités de mise en œuvre de la réforme ; en même temps et jusqu'à leur parution annoncée pour décembre 2018, le travail d'élaboration des nouveaux programmes du lycée ; en septembre 2018, une nouvelle classe de seconde dont les contours ne seront pas bouleversés par rapport à ce que nous connaissons déjà ; en septembre 2019, la nouvelle première qui, elle, sera significativement différente, et, en bout de course, le nouveau baccalauréat au cours de l'année scolaire 2020-2021.
Les échéances sont claires, serrées peut-être, mais elles nous laissent le temps de travailler, dans le souci du bien commun, et en nous mobilisant pour tirer de la réforme tout ce qu'elle peut contenir de fructueux.
GLOBALEMENT, LA RÉFORME COMPORTE DE NOMBREUX ASPECTS POSITIFS
Il était nécessaire de réformer le baccalauréat.
Pas d'abord du fait de son coût : après tout, s'il répondait pleinement à ses objectifs, la question de son poids budgétaire me paraîtrait somme toute assez seconde... Mais plutôt pour trois raisons majeures : son absence totale de lien avec l'enseignement supérieur, son contenu issu d'une sédimentation historique non raisonnée, et son alourdissement dénué de sens.
Mécaniquement, une réforme de l'examen ne pouvait qu'entraîner avec elle une réorganisation du lycée. Le besoin se faisait en effet de plus en plus pressant de sortir de la logique en silos des filières, de la culture du « tout S » qui n'était que trop fréquemment du « faux S », et d'un cloisonnement des disciplines peu propice à l'appropriation du sens des savoirs par les lycéens.
À ce double égard, j'observe que, sur bien des points, la réforme va dans le sens de ce que l'Enseignement catholique appelle de ses vœux depuis des années, en particulier dans tout ce qui concerne la prise en compte de la diversité des profils et des projets, l'assouplissement des parcours, l'investissement humain et horaire en matière d'accompagnement à l'orientation, ou encore l'articulation entre le bac – 3 et le bac + 3.
« Donner chair à la notion de continuum enseignement secondaire / enseignement supérieur »
En effet, les éléments intéressants ne manquent pas, et ils témoignent d'une réelle cohérence les uns par rapport aux autres :
- En lycée général, la fin des filières1, au profit d'une plus grande personnalisation des parcours, ouvre la voie à un accueil plus réel de la pluralité des compétences et – cela me paraît essentiel – fait davantage de place à l'envie, au plaisir d'apprendre, au sens du travail fourni.
- Les horaires spécifiques dévolus à l'orientation peuvent permettre, s'ils sont bien mis en œuvre, une valorisation réelle de cette (relative...) modularité.
- L'instauration d'une part de contrôle continu (en fait, compte tenu de ce qui est prévu, il serait plus rigoureux de parler de contrôle en cours de formation) libère le baccalauréat de sa dimension « couperet », pour à l'inverse le situer comme une étape dans un chemin de formation.
- Pareillement, l'introduction d'une nouvelle épreuve orale élargit le spectre des attendus en fin de lycée, et doit enrichir en cela les compétences des lycéens.
- Au même titre que cette épreuve orale, plusieurs spécialités prévues par la réforme renforcent le dialogue des disciplines les unes avec les autres, un dialogue qui consolide la construction d'une véritable culture (songeons également à cette nouveauté que va constituer l'enseignement des « Humanités scientifiques et numériques »).
- Tout ceci donne chair, ou du moins peut vraiment donner chair, à la notion de continuum enseignement secondaire / enseignement supérieur, tout en nous invitant opportunément à sortir du débat un peu vain consistant à savoir si le baccalauréat marque d'abord la fin du secondaire ou d'abord le début du supérieur.
- Enfin, le maintien de la voie technologique dans le cadre d'un baccalauréat réformé contribue lui aussi à l'équilibre global du dispositif.
DEMEURENT TOUTEFOIS, ET C'EST BIEN NORMAL, DES QUESTIONS OU DES POINTS DE VIGILANCE
Certaines interrogations fréquemment exprimées ces derniers jours ne me semblent pas vraiment ou pas totalement pertinentes :
- Ici ou là, l'on évoque la « fin du baccalauréat national ».
En réalité, nous savons tous qu'à l'heure actuelle les responsables des filières sélectives étudient les dossiers de candidature bien avant les épreuves du bac, et que lorsqu'ils analysent les bulletins scolaires des élèves, ils apprécient les notes en fonction du nom du lycée d'origine... Dans sa configuration présente, la portée nationale du bac ne saute donc pas aux yeux. Demain, les épreuves organisées dans le cadre du contrôle continu reposeront sur une banque de sujets nationaux accompagnés de grilles d'évaluation précises, et par ailleurs les notes du bac pourront être prises en compte dans l'accès au supérieur, lui conférant ainsi une portée beaucoup plus effective : n'y a-t-il pas là une procédure plus respectueuse des jeunes ?...
- D'autres, ou les mêmes, pointent un risque de « creusement des inégalités»
Oui, le risque existe. Mais la réforme sera ce que nous ferons d'elle ! Si nous nous donnons les moyens de bien l'accompagner, en veillant tout particulièrement, et donc prioritairement, à ceux de nos élèves qui ne bénéficient pas d'un environnement social et culturel porteur, elle pourra produire de la personnalisation dans un commun préservé. Par exemple, à celles et ceux qui redoutent l'épreuve orale pour les lycéens issus des milieux défavorisés, je voudrais répondre qu'il relève précisément des missions de l'école que de les aider à développer les compétences, et toutes les compétences, qui leur seront nécessaires2...
Le moins que l'on puisse dire est que le menu unique et son cortège d'orientation formatée n'ont pas franchement fait leurs preuves en matière de lutte contre les inégalités : il me semble à l'inverse que plus de diversité peut ouvrir à plus d'équité et à plus d'égalité.
En revanche, différents points seront bel et bien à clarifier. Par exemple, et de manière non exhaustive :
- Qu'en sera-t-il demain du baccalauréat professionnel et, plus largement, de la formation par la voie professionnelle ? Tous les jeunes méritent la même attention, et donc tous les parcours le même intérêt.
- Quels qu'en soient les éléments, qui ne sont pas encore arrêtés à l'heure où j'écris, c'est à l'aune de sa cohérence d'ensemble que s'appréciera la politique mise en œuvre.
- Quelle place sera faite aux baccalauréats généraux préparés dans les lycées agricoles ? L'on peut aisément imaginer qu'ils auront l'opportunité de proposer la nouvelle spécialité « écologie, Agronomie et Territoires » : mais devront-ils se limiter à cette seule possibilité ou, comme cela semble évidemment souhaitable, auront-ils accès à un choix plus diversifié?
- En ce qui concerne cette même spécialité, mais aussi pour ce qui est de l'enseignement des « Humanités scientifiques et numériques » : quels en seront les contenus, et quels professeurs les enseigneront-ils?
- L'épreuve orale de terminale prévoit trois examinateurs, dont l'un issu de l'extérieur : qui le nommera ? Sur quels critères ? Avec quel accompagnement, quelle formation?
- Quel coefficient sera-t-il affecté aux différentes disciplines dans la pondération globale de l'examen ? La réforme scellera-t-elle la fin de notre tradition de la compensation, son atténuation, ou son maintien?
- Le fait que ces questions, et bien d'autres encore, ne soient pas tranchées constitue selon moi un signe encourageant. J'y vois la marque d'une réforme qui se construit pas à pas, en faisant place au dialogue et à la concertation.
Dans cette mise en place progressive, différents points de vigilance devront à mes yeux faire l'objet d'une attention toute particulière :
- En premier lieu, je tiens à fortement souligner la nécessité de ne pas tomber dans les mêmes travers que ceux qui ont pu accompagner le déploiement de la réforme du collège, et peu ou prou en dénaturer le sens. Souhaitons notamment que le décret à venir ne réduise pas la portée des intentions initiales, et que les circulaires d'application ne limitent pas à leur tour celle du décret ! Il est en effet bien des formes de dirigisme, voire de caporalisme local, dont l'école française gagnerait profondément à se défaire. L'un des atouts majeurs de la réforme du baccalauréat et du lycée réside dans sa volonté de faire place à la diversité des jeunes : cela suppose une réelle souplesse de fonctionnement et une véritable marge de manœuvre pour les initiatives locales, dès lors qu'elles se conçoivent dans un cadre régulé, avec la concertation (y compris la concertation interne à chaque établissement) et l'évaluation requises.
Très concrètement, cela pose notamment la question de la latitude dont jouiront ou non les lycées dans l'offre de spécialisations qu'ils pourront proposer. Je n'ose imaginer qu'ici ou là des responsables rectoraux puissent vouloir imposer à nos lycées des choix qui restreindraient leur capacité de rayonnement ; mais nous y serons extrêmement attentifs, car il en va de l'intérêt des élèves et de leur réussite. - En deuxième lieu, la question des modalités du contrôle continu (ou du contrôle en cours de formation...) devra être travaillée avec soin. Au prétexte louable d'alléger l'organisation de l'examen, il ne faudrait surtout pas en arriver à un simple « glissement » de son poids vers des équipes au quotidien inconsidérément alourdi...
- Par ailleurs, si la volonté d'un engagement significatif sur le terrain de l'accompagnement à l'orientation appelle mon adhésion la plus entière, je note qu'à l'évidence cela nécessitera un important investissement (dans tous les sens du terme) en matière de formation des acteurs comme du point de vue de l'information proposée aux familles et du partenariat développé avec elles, avec une attention prioritaire pour les jeunes et les familles des milieux socialement et/ou culturellement moins favorisés.
Pour ce qui concerne l'Enseignement catholique, j'ajoute qu'il ne saurait se borner à une approche « technicienne » de l'orientation. C'est une démarche plus globale qu'il doit s'efforcer d'approfondir, en intégrant l'orientation scolaire à une formation au discernement, et à une éducation aux choix de vie fondée sur la notion de vocation.
Faire place à la diversité des jeunes suppose une véritable marge de manoeuvre pour les initiatives locales.
Outre ces divers points de vigilance, deux regrets pourraient être formulés – quand bien même l'on peut entendre les raisons qui ont conduit aux décisions prises. D'une part, je ne suis pas certain de me réjouir du maintien de l'oral de rattrapage. La question n'est certes pas essentielle, mais il me semble qu'une procédure de rattrapage fondée sur l'analyse des bulletins scolaires du candidat aurait été plus conforme à la cohérence d'ensemble de la réforme...
D'autre part et pour les mêmes motifs, il m'aurait paru intéressant que fût creusée la piste, proposée par le rapport Mathiot, d'une organisation semestrialisée de l'année scolaire.
Je note toutefois que le ministre a précisé que les établissements qui le souhaiteraient auraient la possibilité de s'y engager : j'invite les chefs d'établissement et les équipes à y réfléchir, en s'inspirant par exemple des pratiques déjà expérimentées en lycée agricole.
QUELLES PEUVENT ÊTRE LES CONDITIONS OU LES CLEFS D’UNE RÉFORME RÉUSSIE ?
Je l’ai déjà écrit, mais je le répète délibérément : une première condition de réussite de la réforme réside à mes yeux dans le déploiement d’une plus grande place faite aux initiatives locales et à ce que l’on pourrait appeler « l’autonomie concertée », ou encore « l’autonomie régulée ».
Encore une répétition volontaire et assumée : une deuxième clef se trouve selon moi dans l’attention forte aux lycéens qui ne bénéficient pas d’un bagage et d’un environnement aidants. Qui dit plus de souplesse, une certaine modularité, davantage de possibilités de choix, dit aussi ou peut dire aussi plus de risques de se perdre en cours de route… Charge à nous d’en avoir conscience, et de travailler à ce que la réforme profite bel et bien à tous les lycéens !
Troisième condition, tellement évidente et tellement déterminante – notamment au vu de ce qui précède – que trois mots suffisent à l’évoquer : la nécessité cruciale d’un investissement significatif sur le terrain de la formation des équipes, tant en termes de formation initiale qu’en matière de formation continue et d’accompagnement des acteurs.
Développer en France une véritable culture collective de la formation tout au long de la vie
Enfin, et là se situe selon moi l’essentiel, une quatrième et très décisive clef serait à chercher du côté des futurs nouveaux programmes.
Il me paraît en effet déterminant qu’ils s’ancrent clairement dans une logique de construction et de validation progressives des acquis, qu’ils favorisent le dialogue des disciplines et non leur cloisonnement, et qu’ils privilégient l’appropriation véritable des savoirs par les élèves plutôt que le traitement coûte que coûte d’une suite de points à franchir comme autant d’obstacles dans un concours hippique.
Ceci s’avère d’autant plus important que nous nous trouvons confrontés à une sorte de paradoxe : d’une part, il relève aujourd’hui du lieu commun que de souligner le fait qu’un jeune entrant dans la vie active changera plusieurs fois de métier au cours de son parcours professionnel ; mais, d’autre part, la réforme du baccalauréat et du lycée entend à bon droit mieux préparer les élèves à leur réussite dans le supérieur, et, pour ce faire, elle tend à renforcer la spécialisation progressive en première et en terminale.
Je ne conçois qu’un seul moyen de faire en sorte que ce paradoxe devienne une tension féconde, et non une impasse : veiller à ce que les programmes ne se cristallisent pas sur les seules connaissances, mais qu’ils insistent tout autant sur les questions de méthode, de réflexion, d’aptitude au travail collaboratif, de capacité à l’initiative, à l’esprit de recherche, à la prise de risque.
Si tel est le cas, et c’est bien sûr ce que j’appelle de mes vœux, alors pourra enfin se développer en France une véritable culture collective de la formation tout au long de la vie : l’avenir de nos jeunes, et donc celui de notre pays, sont à ce prix. »
Secrétaire général de l’Enseignement catholique
2. à cet égard, il faudra certainement préciser rapidement les attendus, les modalités et les critères d’évaluation de cette épreuve orale, afin de réduire au maximum les risques d’accentuation des inégalités qu’elle pourrait éventuellement susciter.
La réforme du bac
Changer le bac. Des pistes sont en cours. Mais pourquoi et comment ? Jean-Marc Petit, le délégué général du Rénasup, le réseau national d'enseignement supérieur privé donne son éclairage au micro de Romain Mazenod sur les ondes de RCF. S'il salue une réorganisation des filières qui peut permettre de rééquilibrer les effectifs d'améliorer l'orientation des jeunes, il pointe aussi deux points d'attention majeurs concernant la réforme du bac.
Sur le contrôle continu:
« la difficulté du contrôle continu c’est la disparité des modalités d’évaluation d’un établissement à l’autre voire d’une classe à l’autre dans une même matière. On sent bien, pour ceux qui mènent la réflexion, que la question est : contrôle continu ou contrôle en cours de formation avec des épreuves standardisées ? L'enjeu va être alors d'harmoniser les évaluations entre établissement... mais ce n’est pas quelque chose de simple. »
Sur le lien lycée - enseignement supérieur
« Le lycée est encore très tourné sur la préparation du baccalauréat. Or, ce bac c’est aussi le sésame pour entrer dans l’enseignement supérieur. Et justement on a entamé une réflexion sur les attendus de l’enseignement supérieur. C’est certainement une aubaine que pour une fois, c’est l’aval qui dit ces attentes à l’amont et c’est intéressant que la réforme du bac intègre les attendus de l’enseignement supérieur. »
L’Enseignement catholique redéploie des moyens pour que les petits établissements puissent, si telle est la demande des élèves, offrir une large palette d’enseignements de spécialité, ces « majeures » au cœur de la réforme du lycée.
Par ailleurs Pascal Balmand en appelle à ne surtout pas recomposer des filières tacites, ce qui pervertirait l'esprit de la réforme.
Interview de Pascal Balmand,
secrétaire général de l’Enseignement catholique,
publié sur le site du journal La Croix le 10/02/2019 à 9h53
Propos Recueillis par Denis Peiron
La Croix : Comment se met en place la réforme du lycée dans l’Enseignement catholique ?
Pascal Balmand : Très mobilisées, les communautés éducatives mesurent tout ce que cette réforme peut apporter de personnalisation des parcours, de meilleur accompagnement à l’orientation et au discernement.
Son application nécessite néanmoins un travail considérable, avec une grande incertitude : on ne connaît pas les enseignements de spécialité que les élèves choisiront pour leur entrée en première.
Cela complique l’organisation pédagogique et la constitution des emplois du temps.
Les lycées catholiques sont-ils libres de proposer les spécialités de leur choix ?
P. B. : Parfois long et compliqué, notre dialogue avec les rectorats a porté ses fruits, même si subsistent ici ou là des tensions. Nous avons choisi de permettre à tout établissement, s’il le souhaite et si cela répond à une demande des élèves, de proposer au moins sept des douze spécialités. Nous dotons les petits lycées avec autant de bienveillance que possible et en considérant que les plus gros établissements ont la possibilité, sans moyens supplémentaires, d’offrir une palette plus large de spécialités.
La carte des enseignements de spécialité entraînera-t-elle un regain de concurrence entre public et privé ?
P. B. : Ce ne devrait pas être le cas. Car les choix se font d’abord en fonction d’un projet éducatif, d’un climat global. On ne peut pas exclure des va-et-vient entre public et privé à la fin de la seconde mais ils ne devraient pas être statistiquement significatifs.
Il y a un an, vous invitiez les établissements à s’emparer de la réforme pour aider chaque jeune à construire « son propre parcours d’excellence ». Or certains s’apprêtent à réinstaurer des filières tacites…
P. B. : L’avenir de la réforme dépendra largement de la capacité des établissements à éviter de recomposer les filières. Certains lycées, publics comme privés, peuvent chercher à les reconstituer tacitement, notamment pour rassurer des familles. C’est leur liberté. Mais les obstacles sont avant tout pratiques : si l’on veut des classes avec des élèves qui ont choisi des spécialités différentes, il faut que ces enseignements se déroulent simultanément, plusieurs fois par semaine. Il serait dommage que des contraintes matérielles, dont le manque de locaux, l’emportent sur la volonté politique.
Que pensez-vous de la loi Blanquer, examinée à partir de ce lundi 11 février à l’Assemblée nationale ?
P. B. : Ce texte fait plus de place aux initiatives et à la responsabilité des chefs d’établissement et des équipes. Avec, pour corollaire légitime, un renforcement de l’évaluation. Cette philosophie correspond bien à la culture de l’Enseignement catholique.
Cette loi abaisse à trois ans l’instruction obligatoire. Cela obligera les communes à financer les maternelles privées à hauteur de 50 millions d’euros par an. Que répondez-vous au Comité national d’action laïque (Cnal), qui dénonce un « cadeau » ?
P. B. : Dans certains territoires où il ne va pas toujours de soi d’inscrire son enfant en maternelle, notamment Outre-mer, cette mesure constitue un levier de promotion sociale. Pour le reste, je ne vois pas où serait le cadeau, sauf à remettre en cause les principes de la loi Debré de 1959, qui régissent les rapports entre l’État et les établissements sous contrat et qui – cela fait partie des grands équilibres de la République – prévoient un financement à parité pour le public et le privé. Le Cnal est libre de les contester. Mais je ne suis pas sûr qu’il soit suivi par une majorité des Français, d’autant que 40 % des jeunes fréquentent, à un moment de leur parcours, une de nos écoles.
Pourquoi avoir lancé récemment une démarche prospective, qui fera évoluer le maillage de l’Enseignement catholique ?
P. B. : Dans un contexte budgétaire tendu – nous subirons l’an prochain 550 suppressions de postes, partiellement compensées par des heures supplémentaires –, nous devons, en nous appuyant sur la réflexion des communautés éducatives, adopter une stratégie pour mieux répondre aux besoins là où ils se manifestent, dans les métropoles ou encore à Mayotte ou en Guyane.
Il nous faut redéployer des postes, sans pour autant sacrifier notre présence dans les territoires ruraux ou semi-ruraux. Cela suppose, dans ces zones, une organisation pédagogique innovante adaptée, comme les classes à plusieurs niveaux, et plus de synergies (écoles multi-sites ou fusion d’établissements). C’est en répondant mieux aux demandes des familles que nous serons écoutés dans la défense de nos petites écoles.
Recueilli par Denis Peiron
«Nous avons réparti les moyens afin que tous nos lycées proposent sept spécialités »
Interview accordée à l'AEF-Info par Yann Diraison,
adjoint au secrétaire général de l'Enseignement catholique
Propos recueillis par Edwin Canard le 31/01/2019
« Nous souhaitons que l’offre de spécialités soit la plus large possible pour que les élèves ne soient pas pénalisés et conserver l’attractivité des lycées », assure, dans un entretien à AEF info le 28 janvier 2019, Yann Diraison, adjoint au secrétaire général du Sgec en charge des moyens d’enseignement. « Pour cela, nous avons réparti les moyens par académie afin que tous les lycées puissent proposer sept spécialités. Nous avons volontairement ajusté les DHG des lycées. Il y aura un mouvement de 600 ETP », explique-t-il. Concernant Parcoursup, Yann Diraison juge que la plate-forme «n’a pas si mal fonctionné ». Quant au projet de loi pour une "école de la confiance », le Sgec espère que l’article sur l’expérimentation concernera également le temps de service enseignant et que la notion de "socle commun" sera inscrite dans le texte.
AEF info : Comment la réforme du lycée général et technologique se met-elle en place dans vos 800 lycées ?
Yann Diraison : Nous sommes à un moment charnière. D’un côté, c’est la fin de la phase durant laquelle les établissements faisaient leurs propositions au recteur et les cartes académiques ont presque toutes été arrêtées. Le dialogue entre établissements et recteurs s’est globalement bien déroulé même s’il reste quelques points de crispation comme à Montpellier ou Nancy. À certains endroits, les recteurs avaient établi que si le nombre d’élèves qu’accueillait un lycée ne permettait pas d’ouvrir plus de quatre spécialités, alors l’établissement ne devait proposer que quatre spécialités. Nous avons contesté ce point en souhaitant que l’offre soit la plus large possible afin que les élèves ne soient pas pénalisés par avance, et pour conserver l’attractivité des lycées.
De l’autre côté, les interrogations portent désormais sur les choix des lycéens, dont il est possible qu’ils ne correspondent pas à l’offre qui leur est proposée. Nous commençons à avoir quelques idées, en particulier dans les lycées déjà identifiés comme scientifiques où les lycéens devraient choisir des spécialités scientifiques. Mais dans les lycéens plus polyvalents, les choix seront plus divers.
AEF info : Comment avez-vous établi les cartes de formation dans vos lycées ?
Yann Diraison : Nous avons réparti les moyens par académie afin que tous les lycées puissent proposer sept spécialités. Nous avons volontairement ajusté les DHG des lycées. Il y aura un mouvement de 600 ETP, sur 136 000 enseignants. La réforme est particulièrement impactante dans les lycées de petite et moyenne taille, globalement inférieurs à 400 élèves. Un lycée de 100 élèves, qui pouvait proposer des cours de langues vivantes à des groupes de 10 élèves en fonction des filières, pourra, grâce à la réforme, faire des économies en regroupant, puisqu’il ne sera plus contraint par les cylindres qu’étaient les filières. L’objectif de la réforme n’est pas de faire des économies mais elle peut en induire.
En revanche, dans des lycées de plus de 400 élèves où les groupes étaient pleins partout, il y a un risque que se reconstituent les filières, par habitude et par facilité d’organisation. Or, il n’y a plus de raison que les cours d’arts ou d’EPS soient organisés en fonction des spécialités. La réforme peut permettre de revoir toute l’organisation des établissements.
AEF info : Finalement, comment, d’après vous, se passera la rentrée 2019 dans les lycées ?
Yann Diraison : J’ai le sentiment que, dans les lycées privés, cela va bien se passer puisque l’esprit de la réforme, la modularité, est ce que le Sgec prône depuis longtemps. Il n’en demeure pas moins que nous nous questionnons forcément sur la manière dont nous allons caler les choix des élèves, impondérables, avec les obligations de gestion des établissements. Les RH des lycées joueront logiquement beaucoup.
Toutefois, nous n’allons pas instaurer de seuils à partir desquels il conviendrait d’ouvrir une spécialité, car il faudrait faire en fonction de la taille des établissements, de leur situation géographique - la problématique n’est pas la même en ville que dans les Pyrénées.
En revanche, nous travaillons actuellement autour des conventions entre établissements privés afin de mutualiser des spécialités mais, évidemment, ce ne sera pas possible partout. Nous réfléchissons également aux enseignements à distance, qui se font déjà dans certaines régions pour des langues vivantes par exemple.
Ce qui fera la réussite, finalement, de cette réforme est la manière dont l’enseignement supérieur jouera le jeu, en définissant leurs attendus en termes de compétences et non de notes. Mais je ne suis pas pessimiste.
AEF info : Comment jugez-vous la première année de Parcoursup et comment voyez-vous celle qui s’ouvre ?
Yann Diraison : Bien que le système ne soit pas parfait, qu’il ait généré des difficultés, pour nous, tout système qui tient compte des choix des élèves et des attendus des établissements est préférable au tirage au sort. Il n’a pas si mal fonctionné, d’autant que le supérieur accueillait 40 000 étudiants de plus.
Pour la deuxième année, un point nous serait insupportable : l’anonymisation à l’extrême, faisant qu’il n’y ait plus de relations possibles avec les élèves alors qu’une bonne inscription dans le supérieur, c’est la rencontre d’un projet de l’étudiant avec celui de l’établissement. Mais, heureusement, elle ne semble plus à l’ordre du jour.
AEF info : L’instruction obligatoire à 3 ans va avoir des conséquences pour l’enseignement privé. Comment réagissez-vous aux critiques de ce projet de loi, évoquant un "surcoût pour les communes ?
Yann Diraison : Nous sommes favorables à cette mesure, que l’on avait évoquée depuis longtemps. Nous souhaitons qu’elle s’accompagne d’une certaine souplesse dans la manière d’appréhender la première année, notamment en termes d’assiduité.
Quant aux polémiques, elles sont surtout venues de communes qui, par un choix éminemment politique, ne finançaient pas les classes maternelles des écoles privées. La loi va mettre fin à une profonde injustice faisant que les familles scolarisées dans les écoles privées non-financées par les communes paient leurs impôts dans cette même commune. Néanmoins, nous ferons des choix raisonnables, nous allons laisser le temps aux communes de s’adapter, en discutant, au cas par cas, des mesures permettant d’étaler la montée en charge progressive du paiement du forfait communal.
AEF info : Quelles sont les autres mesures du projet de loi pour une "école de la confiance" ( qui vous interpellent ?
Yann Diraison : Nous allons suivre attentivement l’article sur l’expérimentation. Nous attendons une souplesse sur la manière de compter le temps de service des enseignants : il nous paraît difficile de pouvoir expérimenter sur le temps scolaire des élèves, comme le permettrait l’article, tout en restant dans le cadre du service hebdomadaire actuel des professeurs.
Aussi, nous souhaiterions que la possibilité de créer des écoles du socle commun, regroupant le premier degré et le collège, soit inscrite dans la loi.