Paul Martre: un apport prophétique à l’enseignement du fait religieux

Je voudrais apporter un témoignage sur un aspect essentiel de l'engagement de Paul Malartre dans le domaine de l'intelligence de la foi et de sa transmission : le domaine de l'enseignement du fait religieux.

Ayant travaillé à ses côtés sur ce sujet pendant tout son mandat de Secrétaire général, je puis dire à quel point son apport fut ici prophétique.

Il avait un sens aigu des enjeux et des défis contemporains en matière d'éducation, et il savait le rôle privilégié que l'Enseignement catholique pouvait apporter en ce domaine.

René Nouailhat
Chargé de la mission Enseignement et Fait religieux,
lancée par Paul Malartre.

 

Paul Malartre avait bien compris l'importance et l'intérêt du Rapport de Régis Debray, "L'enseignement du fait religieux dans l'école laïque". Et il pensait que l'Enseignement catholique, en France, n'est pas un Enseignement "privé". Sous contrat avec l'Etat, il est pleinement "Ecole de la République".
Il est aussi Institution d'Eglise, et à ce titre chargé d'une Pastorale qui comprend des démarches confessionnelles et cultuelles pour ceux qui le souhaitent.

Il a donc obligation à bien distinguer l'enseignement du fait religieux et l'enseignement religieux. Distinction aussi fondamentale que l'enseignement sur l'histoire des Rois de France et ce que serait un enseignement royaliste.

La formation à l'esprit critique rendue possible par l'intégration du fait religieux à tous les niveaux des divers enseignements appelle à des clarifications dans les contenus disciplinaires et les postures de transmission.

L'Enseignement catholique, en régime de laïcité, aimait-il à souligner, devrait être un "laboratoire" privilégié à ce sujet.

 

C'est pourquoi il avait créé la "Mission Enseignement et Religions" dès 2002, dont il me confia le pilotage.

Il donna à cette Mission, toute nouvelle dans l'Enseignement catholique, les moyens de son ambition. Destinée à former, à encourager et à accompagner les enseignants, elle se déploya sur quatre niveaux avec :

- un réseau de "personnes ressources" et de coordinateurs pour piloter ce travail au niveau des diocèses et des congrégations, et auprès des chefs d'établissements

- des équipes de recherche-action pour approfondir le sujet au niveau du Primaire, des enseignements de Lettres, d'Histoire-géographie, des arts, de langues, de sciences, de philosophie, de l'Enseignement technique et professionnel, et de la vie scolaire ; 140 personnes ont travaillé ainsi pendant dix ans et ont exposé leurs travaux dans des numéros spéciaux de la revue de l'Enseignement catholique et lors d'un colloque international organisé avec Gilles du Retail. Paul Malartre eut, à toutes les étapes de ces chantiers, un rôle décisif et des interventions visionnaires.

- un conseil scientifique regroupant les meilleurs spécialistes du sujet :  le recteur Philippe Joutard, Pierre Gibert, Maurice Sachot, et bien des "pionniers" qui nous ont quittés depuis : le doyen de l'inspection générale Jean Carpentier, Mohammed Arkoun, René Rémond, Jean d'Alès, Michel Meslin, Gilbert Caffin, etc.

- un institut pour la formation des enseignants, l'IFER de Dijon, qui proposait deux semaines de sessions par an (sessions qui ont accueilli plus de deux mille enseignants sur une vingtaine d'années) et une formation diplômante "master de l'enseignement du fait religieux", alors unique en France (montée en partenariat avec l'Université catholique de Louvain).

 

Paul Malartre participait toujours à nos travaux. Il prenait le temps d'accueillir, de conseiller, de questionner, de partager les réflexions engagées. Parallèlement, il multipliait avec moi des contacts pour croiser et approfondir les éclairages sur ce sujet, si lourds d'enjeux pour l'éducation et pour l'appropriation du patrimoine religieux dans une société plurielle et sécularisée. Avec Régis Debray, bien sûr, mais aussi avec de nombreux spécialistes des religions comme Jean Delumeau, du Collège de France, Dominique Ponnau, de l'Ecole du Louvres, ou Antoine Casanova, du Parti communiste français, et tant d'autres.

 

Je pense à toutes celles et tous ceux qui ont travaillé dans cette Mission ou qui ont bénéficié des initiatives déployées au service d'une meilleure intelligence des faits religieux.
Ils savent ce qu'ils doivent à Paul Malartre. Il a inspiré et guidé ces orientations novatrices, contribuant ainsi à donner du sens aux contenus des disciplines enseignées.
Ouvrir de la sorte les enseignements aux questions existentielles permettait de les revivifier. Les enseignants y retrouvaient la raison d'être de leur passion de transmettre.
Paul Malartre alliait exceptionnellement la réflexion et l'action, la foi et la raison, le croire et le savoir.

 

Ce travail a porté des fruits. Il fut largement diffusé par le SGEC.

Ses résultats furent cependant contrariés au niveau national quand l'enseignement du fait religieux est passé d'une problématique essentiellement culturelle à des considérations essentiellement règlementaires.

Aux problèmes liés à des revendications religieuses identitaires s'est ajoutée la montée d'un sectarisme et d'un fondamentalisme laïques que l'on croyait d'un autre âge. Tout ceci sur fond d'une inculture religieuse grandissante.

Les sanctions qui se sont abattues en 2017 sur un jeune enseignant du petit village de Malicornay, coupable d'avoir voulu traiter de la Bible parmi les "texte fondateurs" en CM2, sont révélatrices des impasses dans lesquelles se fourvoient les actuels débats sur le traitement des religions dans l'espace public.

J'ai essayé d'analyser le phénomène dans un livre intitulé "La leçon de Malicornay" (paru l'an dernier chez L'Harmattan).  Paul Malartre en écrivit la préface.
Ce fut l'un de ces derniers textes et derniers combats, au vif d'une actualité tourmentée.

Il y reprenait son message d'exigence éducative, dans le cadre d'une laïcité "qui ne soit pas une réponse frileuse face à une menace souvent fantasmée, mais réponse, dans un contexte de plus en plus pluri-culturel et pluri-religieux, au nécessaire apprivoisement des différences".

Dans une situation que Régis Debray qualifiait de "déshérence collective", nous avons plus que jamais besoin de ce que Paul nous a transmis, avec tant d'intelligence, de profondeur d'esprit et de cœur.

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