Quels gestes professionnels quand la dimension religieuse traverse la culture scolaire?

Gestes et attitudes professionnelles des enseignants du primaire
qui prennent des décisions face à des objets de culture scolaire
qui présentent une dimension religieuse.

Auteur : Régis Gaudemer

Contact: regis.gaudemer@isfecnormandie.fr

ISFEC Normandie

Résumé:

Constat initial : Enseigner « les faits religieux » à l'école primaire est une injonction prescrite dans les textes de références tels que le socle commun ou les programmes du premier et second degré.
Les premières prescriptions ministérielles remontent au premier socle commun en 2005, qui sont la concrétisation de plusieurs rapports et en particulier ceux de P. Joutard en 1989, de R. Debray en 2002 et de B. Stasi en 2004. Cet enseignement devait avant tout remédier à l'ignorance abyssale concernant les connaissances sur les religions. Il n'était plus acceptable d'entendre "qui est "cette meuf" en voyant la Piéta de Michel Ange.

Pour ce faire, il a été décidé que l'enseignement des faits religieux ne serait pas une discipline mais les professeurs devaient profiter des objets de culture scolaires de chacune des disciplines dont ils ont la charge pour expliciter leur dimension religieuse.

 

 

Éléments de problématique :

l’enseignement des faits religieux, une pratique réelle en décalage avec les intentions d’origine.

Les contenus de cet enseignement transdisciplinaire sont assez peu précis puisqu'aucun programme n'a été constitué : ce sont aux enseignants de repérer ce qui relève du fait religieux dans leur discipline. De plus, une grande possibilité de traduction (Ricœur, 1985) sur les plans didactique et pédagogique est laissée aux enseignants. Ces derniers, en fonction de leur histoire, de leur sensibilité philosophique, spirituelle ou religieuse, politique, de leurs contextes d'enseignement, vont être amenés à conduire les pratiques enseignantes relatives aux faits religieux : c’est sur ce point que porte la thèse.
Bien qu'historiquement, les finalités patrimoniales et les enjeux culturels de cet enseignement sont clairs, les acteurs concernés ont fini par les faire évoluer dans des sens différents, délaissant peut-être dans le même temps les finalités originelles que je vais garder en ligne de mire dans ma thèse. En effet, aujourd'hui dans les écoles, le sens donné à l'enseignement des faits religieux s'oriente subrepticement vers le besoin de faire société en transmettant aux jeunes générations les clés de lecture des manifestations du religieux dans l'espace civil, et en particulier, celles concernant les diverses pratiques des religions musulmanes - parce que supposées incomprises par les français - par la mise en place de temps d'échanges et de débats, guidés par le principe de laïcité : on parle aujourd'hui d'enseignement laïque du fait religieux. Donc nous sommes passés d'une finalité patrimoniale à une finalité sociétale, de mieux vivre ensemble.

Le fil conducteur de la thèse est que la transmission de ces objets de culture à l'école primaire s'estompe progressivement à cause d'une progressive et invisible déculturation religieuse du patrimoine transmis à l'école. Je pose comme hypothèse qu'à l'école primaire, les objets de culture sont traités différemment de tout autre savoir, sans doute à cause de la baisse des pratiques cultuelles, du mince viatique sur les connaissances religieuse des enseignants, de la façon dont les enseignants comprennent le principe de laïcité, principe obscurci par les discours politiques contradictoires et par la loi de 2004 qui interdit tout signe religieux ostentatoires dans les écoles publiques.
Se produit dans les écoles une déculturation religieuse qui vise, soit à exclure du curriculum scolaire tout objet de culture ayant une dimension religieuse, soit à garder ces objets dans le curriculum tout en expurgeant sa dimension religieuse en la passant sous silence ou en la dénaturant. Ce processus de déculturation à l'école est la symétrie de ce que Olivier Roy décrit dans la Sainte Ignorance, à savoir une déterritorialisation et une déculturation des religions. Si les religions expurgent toutes références culturelles de leur système, j'émets l'hypothèse que les enseignants par symétrie, expurgent toutes références religieuses de l'école.

Mon hypothèse est que les enseignants « bricolent » (Perrenoud, 1999) avec l’enseignement de la dimension religieuse des objets de culture qu'ils ont le devoir de transmettre, et ce, qu'ils soient enseignants dans les écoles publiques ou privées.

Premier résultat :

Une dizaine d'entretiens semi-directifs m'a permis de dresser une première typologie des comportements des enseignants du primaire quand ils ont à transmettre un objet de culture scolaire qui renferme une dimension religieuse en 9 points, remarquables par leur récurrence. A savoir :

1) La déreligionnalisation ou aseptisation du religieux
2) L'externalisation
3) L'universalisme impératif
4) La dissolution
5) La privatisation
6) La sous-traitance pédagogique ou l'élève-maitre
7) L'informalisation et invisibilité
8) La centrifugation
9) L'autocensure.

 

Ces premiers résultats nuancent mes premières hypothèses quant aux pratiques de terrain et montrent une grande variété d'attitudes qui, elles-mêmes, sont conditionnées par un ensemble de peurs ou de craintes identifiables. Cette recherche se donne modestement comme objectif de mieux comprendre les stratégies enseignantes et leur genèse et d'améliorer à la fois les actions de formation dans les l'ISFEC mais aussi les pratiques professionnelles.

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