Souffrance enseignante:
approches psychanalytiques
Approche
psychanalytique
de groupes d’enseignants
en souffrance
professionnelle.
Yves-Olivier CHATARD
Docteur en psychopathologie et psychologie clinique (CRPPC, Lyon 2) - Psychanalyste (membre de la Société Psychanalytique de Paris) - Psychologue clinicien -
Adjoint de direction, Responsable service de formation continue ISFEC DES ALPES. – Grenoble
Isfec des Alpes – Grenoble.
Ce travail de thèse s’articule autour d’un postulat et d’une question centrale : c’est le groupe qui fait souffrir les enseignants, au-delà des données didactiques et même pédagogiques, la souffrance du métier est issue des groupes auxquels les enseignants ont à faire, pas seulement ceux des classes et des élèves, mais aussi ceux de l’institution (corps d’inspection, hiérarchie), aussi bien que les groupes sociaux qui attaquent l’école aujourd’hui. Cette souffrance réactiverait-elle ou mettrait-elle en travail, de façon parfois traumatisante, la groupalité psychique même des personnes en présence, groupalité convoquée par ces groupes de travail ?
Une longue expérience de groupes d’accompagnement d’enseignants en souffrance, sur des durées variables mais surtout sous forme de sessions de plusieurs jours répartis sur l’année, montre que l’outil d’analyse de pratique, groupal par essence, fait surgir des mouvements psychiques intenses qui se présentent régulièrement sous une forme de « chaine associative groupale » qui va de ce que nous pouvons appeler des « signifiants formels de groupe » aux mouvements transférentiels dans le groupe et notamment ce que nous appellerions aussi une « diffraction du contre transfert ».
C’est au travers des notes prises dans l’après-coup, et dans le travail psychanalytique groupal, ressource de notre questionnement, que le croisement de la théorie et de la clinique a fait naître cette chaine où apparaissent aussi des mouvements paranoïdes intenses et l’affect de honte caractéristiques pour nous de ce travail psychique groupal avec des enseignants en souffrance. La chaine est donc ainsi constituée : construction d’une « corporéité de groupe », alliances paranoïdes, qui permettent l’émergence d’un mouvement dépressif collectif dans lequel la honte trouve souvent à s’exprimer. C’est à partir de là, dans le transfert de base, que la diffraction du contre-transfert semble inévitable et constitue la condition de travail d’un psychanalyste face à ces groupes.
L’installation d’une transitionnalité entre groupes internes ainsi convoqués et groupes réels et institutionnels permet le travail de mise en sens et de liaison de ces mouvements psychiques à la fois collectifs et individuels qui peuvent réinscrire les membres du groupe dans une groupalité psychique moins souffrante.
Résumée comme cela, la teneur de la communication risque de rester relativement absconse…
Il s’agit pourtant de souligner dans ce travail un des enjeux majeurs de l’école aujourd’hui, et de cette souffrance enseignante qui fait face à des groupes ou plutôt à des élèves pour lesquels le groupe – le collectif – reste étrange, dangereux ou lieu de valorisation excessive…
À l’heure où la formation se fait de plus en plus sporadique, voir « à distance », le délitement du groupe institutionnel devient patent. Comment donner à des futurs citoyens le « sens du collectif » si les personnes qui leur font face sont mises elles-mêmes en souffrance dans leur propre groupalité ? Ou, pour le dire autrement, comment renforcer ou consolider chez les enseignants ces « groupes internes », condition princeps de la capacité à faire exister des groupes de travail ?
C’est par le travail en groupe, réel et non virtuel, un travail psychique s’entend, d’analyse de pratique par exemple, que les difficultés rencontrées peuvent s’élaborer. Les dispositifs décrits dans la communication de ces états généraux, ne peuvent se contenter de l’idée naïve que mettre des personnes en groupe suffirait à les rendre solides pour « fabriquer du groupe » à leur tour avec leurs élèves. C’est d’un véritable travail psychique qu’il s’agit, fait de l’élaboration de ses propres manques et difficultés – voire ses terreurs ou ses résistances – face aux groupes (initiaux, historiques, mais aussi actuels).
Il est sans doute urgent de militer activement pour la survivance et le développement de ce travail d’élaboration – contraire au développement actuel de la formation qui est placé directement sous le primat de l’économie et du pragmatisme temporel.
Il est sans doute nécessaire de faire vivre des situations de groupe aux enseignants – y compris ceux qui ne sont pas - ou pas encore - en difficulté, pour forger à l’intérieur de chacun un cadre interne suffisamment solide, sûr et fiable, pour qu’ils fassent référence humaine devant les élèves. Il ne s’agit pas seulement d’attitudes, de comportements ou de gestes, mais bien de posture, de positionnement psychique qui permettent de supporter, aux deux sens du mot, ce que les groupes d’élèves donnent à vivre dans le présent ou à « revivre » à chacun d’entre nous.
Bibliographie
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BLANCHARD-LAVILLE, C. (2013). Au risque d’enseigner, Paris, P.U.F.
DIET, E. (2006). « La figure du persécuteur comme organisateur dans les groupes d’enseignants ». Connexions, n°86, Toulouse, Erès, 121-148.
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