Ulis+2: un tremplin vers l’emploi
Pour éviter que les élèves en situation de handicap ne se retrouvent livrés à eux-mêmes en fin d’Ulis, le lycée Saint-Martin de Roubaix (59) leur propose d’être accompagnés deux années supplémentaires. Objectif : favoriser leur insertion professionnelle.
Coline Léger - Texte, Photos et Sons
Coordinatrice de l’Ulis du lycée Saint-Martin, à Roubaix (59), Sophie Dumortier se désolait du sort de ses anciens élèves : « Ils revenaient à nos portes ouvertes et je leur demandais : qu’est-ce que tu deviens ? Rien, me répondaient-ils ! À part leurs rendez-vous à la Mission locale ou à Pôle emploi, ils se retrouvaient isolés chez eux, sans réel espoir d’embauche. Or, ces jeunes perdent vite en sociabilité et en compétences de base – lire, dire, compter, parler – s’ils ne sont pas sollicités », explique-t-elle. Face au constat que les quatre années d’Ulis (de la 3e prépa pro à la Tle) ne suffisaient pas à leur insertion professionnelle, Sophie Dumortier a proposé à la direction diocésaine de Lille une année supplémentaire, le temps de parfaire leur formation et de les familiariser au monde de l’entreprise. C’est ainsi que l’Unité localisée d’inclusion professionnelle (Ulip) a vu le jour, il y a quatre ans, soutenue par l’inspectrice ASH (Adaptation et scolarisation des élèves handicapés) du secteur. L’établissement a reçu une enveloppe de dix-huit heures hebdomadaires du Secrétariat général de l’enseignement catholique. « L’Ulis n’étant pas compatible avec le redoublement, cette année permet à certains de décrocher enfin le CAP ou le bac. S’ils ont déjà leur diplôme, ils réalisent des stages en entreprise, en suivant des cours au lycée pour renforcer leurs compétences professionnelles et gagner en confiance », pointe la coordinatrice. Parmi la dizaine d’élèves de l’Ulip, Sophie, 19 ans, est atteinte du syndrome de l’X fragile, une maladie génétique qui entraîne des émotions débordantes. L’an dernier, elle a obtenu son bac pro Accompagnement, soins et services à la personne (ASSP) au lycée Saint-Martin, en Ulis. Cette année, elle effectue un stage « filé » : trois jours par semaine, elle assiste les bénéficiaires de R’Eveil, une association qui accompagne les personnes cérébro-lésées dans leurs gestes quotidiens. Les deux jours restants, elle suit des cours à Saint- Martin et s’entraîne sur les plateaux techniques de l’établissement. « Ce rythme favorise une insertion en douceur », précise Sophie Dumortier.
Super-héros
Pendant ses journées de stage, la jeune fille aide Virginie, elle-même en situation de handicap, sous l’œil bienveillant de sa tutrice, Nathalie, auxiliaire de vie pour R’Eveil. « J’aime le terrain ! On y apprend beaucoup ! », s’enthousiasme Sophie. « Tu es top ! », articule difficilement Virginie. Dès janvier, son stage devrait se transformer en Handiciviq (service civique pour les personnes en situation de handicap), ce qui lui permettra de percevoir une indemnité. Tous les élèves de l’Ulip aimeraient alterner, comme Sophie, cours et stages filés, à raison d’un à trois jours par semaine, selon leurs capacités. Mais dénicher une entreprise n’est pas simple. Après sa formation en bac techno Sciences et technologies de laboratoire (STL) en Ulis, Anaïs, 19 ans, ne trouve pas de poste en laboratoire adapté à ses troubles autistiques. « L’an dernier, j’ai fait un stage de deux semaines en pharmacie. J’ai rangé les médicaments et préparé des sachets de tisane », indique-t-elle timidement. Son année d’Ulip lui permettra de se réorienter en gestion-administration pour travailler dans le secrétariat médical. Dans cette optique, Sophie Dumortier l’aide à intégrer une formation à l’Epnak de Roubaix, une structure dédiée à l’insertion des personnes en situation de handicap. En attendant, grâce aux cours qu’elle suit, elle entretient ses acquis. L’année d’Ulip ne permettant pas toujours aux élèves de s’insérer professionnellement dans le milieu ordinaire ou adapté (où les places sont rares), le lycée a mis en place l’an dernier, un Dispositif d’insertion par la formation et/ou l’emploi des personnes en situation de handicap (Difeph) qui prend le relais. Leur accompagnement se poursuit ainsi avec trois ateliers par semaine leur permettant de bénéficier du Contrat d’engagement jeune (CEJ), indemnisé jusqu’à 500 euros : un atelier confiance en soi, un atelier d’insertion professionnelle et un atelier sur les compétences de base. Contrairement à l’Ulip, le Difeph ne s’inscrit pas dans le cadre scolaire, bien qu’hébergé à Saint-Martin. « J’étais prête à créer une association, mais le directeur, Jean-Luc Lambert, et les membres du conseil d’administration de l’Ogec ont accueilli le projet favorablement », se réjouit Sophie Dumortier. Le Difeph est porté par des fonds privés : l’enseignement catholique, le CFA Jean-Bosco, et du mécénat. Une contribution de 50 euros par mois est en outre demandée à la quinzaine de jeunes qui en bénéficient. L’atelier confiance en soi est animé par Romuald Guiboux, enseignant d’arts plastiques, qui explore le thème du super-héros avec les jeunes. « Mon super-pouvoir, c’est le sport ! », lance Ismaïl, 21 ans, derrière des lunettes qui corrigent une dyspraxie visuo-constructive. Préparé au bac pro Métiers de l’accueil au lycée Saint- François-d’Assise de Roubaix, du même groupe scolaire, il cherche un emploi d’agent d’accueil.
Atelier maintien des acquis
« Moi, j’ai choisi Super-Futur comme nom de super-héros. Quand je suis arrivée à Saint-Martin, je ne parlais pas... J’ai beaucoup changé ! », confie Yasmine avec émotion, 21 ans elle aussi. Atteinte de troubles cognitifs, elle est spécialisée dans le bionettoyage et souhaiterait effectuer une Période de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP), stage encadré par Pôle emploi, comme agent de stérilisation, au bloc opératoire d’une clinique par exemple. « Mes super-pouvoirs, c’est d’aider les autres et m’aider moi-même ! », souligne quant à elle Kelly. Malgré son dossier MDPH, elle n’a pas eu besoin de l’Ulis pour obtenir le bac ASSP, mais la CPE du lycée Saint- Martin l’a orientée vers le Difeph pour ses fragilités personnelles et sociales : ayant atteint l’âge limite de 21 ans, elle doit quitter sa famille d’accueil et se prendre en charge.
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Sophie Dumortier, l'enseignante
Yasmine
Sophie
Ismail
Anaïs
Kelly
Benali Bahri, qui anime l’atelier d’aide à l’insertion, épaule les jeunes dans leurs démarches. Ce travailleur social fait partie de l’association Anti_Fashion Project, qui accompagne les 18-25 ans issus des quartiers prioritaires. « Nous travaillons sur les savoir-être, comme la posture et la présentation. Nous sortons du lycée pour qu’ils acquièrent de l’autonomie dans leurs déplacements. Ils bénéficient en outre des activités organisées par Anti_Fashion Project (conférences, ateliers...) », détaille-t- il. L’UFA Fresc de Saint-Martin étant déjà en lien avec cette structure pour la création d’un CAP Cordonnier bottier, d’autres passerelles entre l’association et l’établissement pourraient voir le jour....
Quant à Marc Balloy, enseignant en mathématiques, il encadre l’atelier de maintien des compétences. « Les mathématiques sollicitent la compréhension des consignes et le raisonnement logique », note-t- il. « Dans le cerveau, la sphère du raisonnement est située dans la même zone que l’affect, ce qui explique les blocages », fait remarquer Sophie Dumortier. Rayan, 18 ans, qui souffre de troubles du comportement, et dont les bêtises lui ont valu de nombreuses exclusions, s’est inscrit au Difeph le temps de recevoir la notification MDPH qui lui permettra d’intégrer l’Ulis. « Je suis motivé pour retourner à l’école !», affirme-t-il. Ces ateliers de maintien des acquis lui remettent progressivement le pied à l’étrier scolaire.
Grâce à ces deux dispositifs uniques en France, Sophie Dumortier espère favoriser l’insertion professionnelle de ces jeunes, à l’image de Lucas, atteint d’une trisomie 21, embauché par le Mercure Hôtel en contrat RQTH (Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé), ou Alek, embauché par O’tera, après un CAP Métier de l’agriculture production Maraîchage. Ces emplois entrent dans le cadre de l’obligation pour les employeurs de plus de vingt salariés d’embaucher 6 % de travailleurs handicapés. « On prépare beaucoup nos élèves à l’inclusion, mais il faudrait aussi préparer les entreprises ! », exhorte Sophie Dumortier. Gageons que ses efforts y contribueront.
Reportage issu du dernier numéro d'Enseignement catholique actualités, en vente sur la boutique en ligne
Le dispositif Ulip de Saint-Martin de Roubaix a aussi fait l'objet d'une présentation et d'un partage d'expérience à la Journée Prospective du 11 janvier dernier.