Le redoublement : une fausse solution
Par Mireille Broussous
Noam, 11 ans, vient de passer en 6e tout en restant… en CM2. Élève de l’école primaire Sainte-Jeanne-d’Arc de Tours, ses résultats étaient un peu faibles l’an dernier. Une orientation en classe passerelle a été décidée. La classe passerelle ? Un dispositif original qui exige de la part du groupe scolaire – primaire et collège – une organisation en béton. Concrètement, il s’agit de laisser passer un élève en 6e, tout en lui permettant de consolider ses connaissances en français, mathématiques et histoire géographie dans le cadre du CM2. L’année suivante, l’élève suit tous les cours de 6e, et participe, lorsque ses résultats sont suffisants, à quelques cours de 5e. En somme, il réalise en trois ans ce que les autres font en deux sans qu’aucune année ne soit identique à la précédente.
À l’origine de cette proposition originale, il y a une conviction, celle de Marie-Claude Bourdin, directrice de l’école primaire. « Je suis persuadée que le redoublement est quelque chose de négatif, qu’un enfant qui refait le même parcours bloque sur les mêmes difficultés. » Les études lui donnent raison. Le redoublement pur et simple a un effet ravageur sur l’estime de soi et donc sur la suite de la scolarité. C’est ce que n’a pas manqué de rappeler la Conférence de consensus sur le redoublement, les 27 et 28 janvier derniers (cf. encadré). En introduisant du changement, une véritable dynamique d’apprentissage est préservée. Et surtout, celui qui intègre une classe passerelle n’est pas désigné, comme « le redoublant » par ses camarades ni par les professeurs.
Se réconcilier avec l’École
Le redoublement classique, bien qu’apprécié des enseignants et étrangement de certains élèves qui voient en lui une possibilité de se rattraper, est dans le collimateur du gouvernement.
« Lorsque les élèves sont bien accompagnés, qu’il existe un projet, un contrat entre l’élève et l’institution, il peut être une chance, nuance Benoît Skouratko, chargé de mission au Sgec. Sinon, c’est un coup d’épée dans l’eau. » Bref, la personnalisation de l’accompagnement change la donne. Dans les classes passerelles, les élèves sont suivis pas à pas.
Joëlle Rubert, professeur principal de 6e au collège Sainte-Jeanne-d’Arc, reçoit régulièrement les enfants afin de s’assurer qu’ils ne butent sur aucune difficulté particulière. Tous les jours, elle fait le point avec Marie-Claude Bourdin qui a ces enfants dans sa classe de CM2. « Entre chaque conseil de classe, il y a un, voire deux conseils de classe intermédiaires pour les enfants en classe passerelle », indique Joëlle Rubert. L’effort d’accompagnement est le même au sein du lycée Ozanam de Lille, qui a mis en place un système comparable il y a… 22 ans. Certains élèves de 3e sont accueillis dans ce lycée malgré leurs résultats. « Officiellement, ils sont toujours en 3e mais le fait de changer d’établissement est une opportunité car, dans la plupart des cas, il était temps pour eux de quitter le collège », explique Frédéric Rousselle, enseignant en histoire et professeur principal de la classe passerelle qui compte 38 élèves. Ils doublent donc leur 3e et enchaînent ensuite, pour la majorité d’entre eux, sur une seconde classique. Une véritable pause dans un parcours souvent chaotique qui leur permet de se réconcilier avec l’École.
Clé de ce dispositif : le tutorat. Chaque enseignant accompagne trois élèves et les rencontre individuellement toutes les trois semaines. Ainsi, ils se sentent écoutés et reconnus. Ils sont suivis pas à pas dans leurs efforts et leurs progrès grâce à cinq bulletins annuels qu’ils remplissent avant les enseignants. Le tuteur confronte ensuite les deux appréciations et analyse l’écart éventuel existant entre elles. S’il y a un cadre, il y a aussi une certaine forme de tolérance. Certains devoirs peuvent être rendus en retard, par exemple, sans que cela ne porte à conséquence. « L’accompagnement est personnalisé et nous individualisons aussi les règles », précise Frédéric Rousselle. Les professeurs qui enseignent dans cette classe développent une véritable culture de l’accompagnement. Ce dispositif porte ses fruits. Grâce à lui, certains élèves progressent à toute vitesse et passent un bac général. Environ 10 % d’entre eux s’orientent vers une filière professionnelle parce qu’ils l’ont vraiment choisie. In fine, seuls quatre à cinq élèves ne parviennent pas à se motiver.
De l’égalité à l’équité
L’organisation des classes passerelles est au service de l’élève. À Tours, la directrice du primaire et celle du collège travaillent main dans la main. Claudine Abraïm, responsable du collège, participe à tous les conseils de classe des CM2 et repère avec Marie-Claude Bourdin les enfants auxquels ce dispositif pourrait profiter. « Nous avons résolu des problèmes d’organisation en regroupant les enfants en classe passerelle dans une même 6e. Il est ainsi plus facile de faire coïncider les emplois du temps du CM2 et de la 6e », indique Claudine Abraïm. Le redoublement agissait comme une fausse solution à l’échec scolaire dont l’institution s’accommodait assez bien. Aller vers sa suppression, comme le recommande la Conférence de consensus, remue donc le système en profondeur. Désormais l’objectif est, comme le dit Marie-Odile Plançon, chargée de mission au Sgec, de « faire monter tout le monde dans le train » et de travailler plus encore en amont sur la prévention de l’échec scolaire. Les pistes à explorer sont nombreuses et concernent aussi bien les contenus des programmes que la didactique. « Les neurosciences nous apprennent beaucoup sur la façon dont l’apprentissage se fait mais elles n’apportent pas de réponses sur ce qu’il faut mettre en oeuvre. Une vraie réflexion autour de la didactique est essentielle », indique-telle. On pourrait, dès le primaire, expliquer clairement aux enfants ce qu’on attend d’eux. Il faudrait aussi aller à la rencontre des familles pour parler avec elles de ce qu’est apprendre. « Une fois que les élèves “fragiles” sont identifiés, il est possible de les accompagner de très près, en faisant le point avec eux tous les jours. Il n’y a pas de doute, nous devons passer de l’égalité à l’équité, donner plus à ceux qui ont moins », conclut Marie-Odile Plançon.
Le redoublement en chiffres
En 2012, 28 % des élèves français de 15 ans avaient redoublé au moins une fois*.
La France se situe au 5e rang des pays de l’OCDE pour le redoublement*.
2 milliards d’euros par an, c’est le coût annuel du redoublement (900 millions €/an pour le lycée – hors classes diplômantes –, 600 millions €/an pour le collège et 500 millions €/an pour le primaire)**.
*Source : Pisa 2012.
**Source : Institut des politiques publiques.
Les recommandations de la conférence de consensus
Les 27 et 28 janvier 2015, s’est tenue à Paris, la Conférence de consensus intitulée « Lutter contre les difficultés scolaires : le redoublement et sesalternatives ». Organisée par le Cnesco (Conseil national d’évaluation du système scolaire), elle a débouché sur la rédaction de recommandations par son jury. Celui-ci ne prône pas la suppression du redoublement dès la rentrée 2015 mais plutôt sa disparition progressive. Pour ce faire, il invite à lutter contre une véritable « culture du redoublement », via une meilleure diffusion des recherches réalisées sur le sujet démontrant son inefficacité. Un certain nombre de recommandations portent sur la mise en place de solutions alternatives : parmi elles, des cours d’été suivis d’examens de rattrapage, le lissage des apprentissages sur trois ans grâce à un professeur unique tout au long d’un même cycle, le développement des classes multi-âges et le redoublement modulaire permettant à un élève de passer dans la classe supérieure dans certaines matières et non dans d’autres.