Deux écoles grandes ouvertes

Les écoles Saint-Théodore, à Marseille, et Saint-Michel, à Bordeaux, s’efforcent de tisser et de renforcer des liens avec des parents d’élèves au profil socioculturel différent. Une entreprise de longue haleine qui s’appuie sur de multiples médiations.

Par Virginie Leray

L'équipe de saint Théodore de Marseille, invite régulièrement les parents dans les classes et engager le dialogue, comme ici lors d'un représentation théâtrale.
L'équipe de saint Théodore, à Marseille, invite régulièrement les parents dans les classes, comme ici lors d'un représentation théâtrale. @V. L.

Si les parents se sentent plutôt bien accueillis, dans les communautés éducatives de l’enseignement catholique, parfois des contextes socioculturels particuliers rendent la compréhension mutuelle plus compliquée. Dans les zones d’éducation prioritaires, comme à Saint-Théodore, école marseillaise située à deux pas de la gare Saint-Charles dans le quartier très métissé de Belzunce. Les classiques divergences de points de vue entre le corps enseignant et les familles sont ici redoublées par un décalage entre les représentations culturelles des uns et des autres. L'ancien directeur, Pierre Usclat, s’est appuyé sur « la colonne vertébrale » d’une équipe dont certains éléments battent des records d’ancienneté, pour mener un travail qui fait la part belle à l’éducatif. À Bordeaux, l’école Saint-Michel accueille aussi un public mélangé, cinq religions cohabitant dans cette toute petite école de 70 élèves. Il y a cinq ans, un climat délétère régnait dans ce microcosme multiculturel. Les violences verbales et situations d’opposition allaient croissant. Les élèves refusaient d’entrer dans les apprentissages. Et cette spirale a conduit jusqu’à l’agression physique d’un professeur. Traumatisme qu’une équipe courageuse a surmonté, en osant se remettre en question, pour s’employer, pendant trois années, à reconstruire l’alliance éducative parents-professeurs.

Pour asseoir cette relation sur une bonne base, faire table rase du passé, Saint-Michel a fait appel à une association de médiation interculturelle locale, afin de découvrir l’histoire, les problématiques, la culture des parents d’élèves. Une démarche qui a permis aux enseignants de changer de regard et de débrouiller quelques quiproquos. « Ce sont de petits gestes, des détails du quotidien qui font que nous sommes désormais dans la reconnaissance des familles et de leur spécificité plutôt que dans une attitude de jugement », explique la directrice, Coralie Lurcin. Nous avons gagné en souplesse et, par exemple, accepté que, très souvent, ce soient des cousins, des oncles, des beaux-frères qui viennent chercher les enfants à l’école. Ce que nous prenions pour une forme de démission résulte en fait d’une conception élargie de la famille. Nos réactions de méfiance pouvaient être blessantes. »

De même, aujourd’hui, les regards fuyants de certains parents ne déstabilisent plus les enseignants qui savent qu’on leur témoigne ainsi une marque de respect. En parallèle, les élèves ont mené un travail autour de la loi avec une autre association de terrain, et les parents ont été invités à participer à un groupe de parole animé par une psychologue de la maison de quartier. Ainsi le dialogue interrompu s’est renoué par l’intermédiaire de tiers, les acteurs associatifs partageant le fruit des réflexions, les attentes ou les interrogations émergeant de part et d’autres, au cours de réunions parents-enfants-enseignants.

À Marseille, Saint-Théodore recourt aussi le plus souvent possible à des passeurs culturels. Une religieuse xavière vient par exemple d’être missionnée par l’évêque pour créer des passerelles entre le christianisme et l’islam. « Le père de sœur Colette était musulman et sa mère chrétienne. Elle peut donc animer une pastorale qui s’appuie sur les deux religions. Avec elle, les élèves musulmans découvrent plein de choses. En s’ouvrant à eux-mêmes, ils s’ouvrent peu à peu à l’autre », raconte Pierre Usclat, très conscient de l’inquiétude des parents par rapport à l’étiquette confessionnelle de l’école. « Lors de l’entretien d’inscription de mon fils, ma première question a été de savoir s’il serait obligé d’aller à la messe… Quand le directeur m’a expliqué que leur but était d’enseigner le respect de l’autre, la vie et le civisme, à travers l’exemple de toutes les religions, j’ai été rassurée. D’autant plus que la seule célébration de l’année, consacrée à Marie, n’est pas obligatoire », témoigne Khadra Darar.

La cantine de Saint Théophile propose des menus sans porc mais pas de repas halal, même s'il faut souvent réexpliquer ce choix aux parents.
La cantine de Saint Théophile propose des menus sans porc mais pas de repas halal, même s'il faut souvent réexpliquer ce choix aux parents. @V. L.

Autre moyen de désamorcer la méfiance, tout en améliorant la situation économique des familles, Saint-Théodore emploie deux mères d’élèves. Une Asem(1) qui peut assurer le rôle de traductrice, pour notamment expliquer tout ce que font les élèves en cours. De même, Naouel Haifi, aide-cantinière, participe-t-elle à lever les préjugés: « Certains parents ne veulent pas entendre parler de l’Apel parce qu’ils pensent qu’elle ne tient que des réunions religieuses. Je leur explique que pas du tout. C’est difficile mais les mentalités progressent. Davantage de parents se portent volontaires pour accompagner les sorties. Récemment, j’ai même pu faire accepter à une maman, très pratiquante, que ses enfants mangent de la viande en lui expliquant que trop souvent, ils restaient sur leur faim. »

S’appuyer sur une médiation pour rapprocher les parents des établissements présente aussi l’avantage de faire connaître, à des familles en difficulté, les lieux-ressources qui peuvent les aider sur le plan éducatif et social. Ainsi grâce aux intervenants associatifs, l’initiative menée à Saint-Michel a pu s’inscrire dans un réseau d’aide et d’appui à la parentalité (REAAP), soutenu par la CAF et dans le contrat urbain de cohésion sociale (CUCS) porté par la municipalité. Outre le soutien financier dont l’école bénéficie via ces dispositifs, ils ont permis qu’aujourd’hui les parents viennent d’eux-mêmes frapper aux portes du centre social. Sa psychologue tient aussi une permanence hebdomadaire à l’école. Elle y reçoit, sur rendez-vous, élèves, professeurs ou parents pour régler en interne des problèmes ponctuels. Prendre en compte l’élève dans son intégralité, soucis familiaux voire médicaux inclus, orienter mais s’intéresser à l’évolution des suivis effectués à l’extérieur… Dans ce même but, Saint-Théodore travaille en lien étroit avec le CMPP(2), des orthophonistes, des acteurs de l’enseignement adapté, le médecin scolaire du secteur, la psychologue du diocèse. « J’ai déménagé loin de l’école l’an dernier et j’hésitais à réinscrire mon fils… Mais il souffre d’un retard de langage et de problèmes de comportement dont l’établissement tient compte en l’autorisant à ne venir que le matin, en l’aidant à progresser. Lorsque le directeur m’a demandé de le laisser à Saint-Théodore par ce qu’il y avait un travail de commencé avec lui, j’ai été touchée… », raconte, encore émue, Khadra Darar.

À force d’empathie et de souplesse

À force d’empathie, de souplesse, d’individualisation et de personnalisation des rapports, les équipes de Saint-Michel et de Saint-Théodore sont parvenues à ouvrir des espaces d’échanges. À Saint-Michel, l’élaboration à six mains d’un règlement intérieur, retravaillé chaque année, matérialise la collaboration éducative entre parents et enseignants. Ces discussions autour des règles – celles de la loi, celles de l’institution, mais aussi celles propres à chaque classe – permettent aux familles de bien les comprendre et d’y adhérer. Le tout ritualisé par une cosignature solennelle du document. Pendant un temps, un passeport conduite avec code couleur, remis chaque semaine aux parents, a servi de support à cette réflexion conjointe sur l’autorité. L’enfant ne pouvait plus éviter de discuter de ses problèmes disciplinaires avec ses parents, de réfléchir ensemble aux sanctions et à leur justification.

Le carnaval, les portes ouvertes, la kermesse, une sortie de fin d’année… Les deux écoles multiplient les occasions de rencontre. À Saint-Théodore, cet après-midi là, peu avant la sortie, c’est Sandrine, une secrétaire investie aussi dans l’éducatif, qui reçoit une douzaine de parents. Ils viennent assister à quelques saynètes présentées par leurs enfants qui suivent l’atelier-théâtre qu’elle anime. Histoire de profiter d’un avant-goût du spectacle de fin d’année et de recueillir un commentaire sur les progrès de chaque théâtreux : à l’oral, dans l’apprentissage des textes ou pour vaincre sa timidité. Adeptes d’une politique de la porte ouverte, directeur et enseignants proposent de nombreux entretiens individuels aux parents, notamment pour leur remettre les bulletins trimestriels, remplir avec eux les dossiers d’inscription en sixième….

« On valorise d’abord les progrès puis on parle de ce qui est améliorer. Sans s’appesantir sur le constat, on cherche à comprendre pourquoi cela pose problème. On conseille, sur le plan scolaire mais aussi sur le plan éducatif, ce qui est plus difficile à entendre, les familles n’aimant pas trop que l’on s’immisce dans la sphère familiale », explique Christophe Ranguis, l'actuel chef d'établissement. Et malgré tout, telle maman a pu entendre qu’il fallait qu’elle sorte d’une relation fusionnelle avec son fils, une autre que ses enfants avaient besoin de rassurance face à un bouleversement familial qui perturbait leur réussite… Sans oublier les notions nutritionnelles distillées l’air de rien… Pour généraliser ce soutien à la parentalité, l’école s’apprête d’ailleurs à signer une convention de partenariat avec la PMI(3) à la prochaine rentrée. Toujours pour multiplier et resserrer les liens.

(1). Agent spécialisé des écoles maternelles.

(2). Centre médico-psycho-pédagogique.

(3). Protection maternelle et infantile.

eca366Issu du magazine Enseignement catholique actualités n° 366, avril - mai 2015, p 38, 39

À retrouver dans l'ECA n° 366

Partagez cet article

>