Le portfolio en M2
Enjeux, usages et limites du portfolio
de formation pour le développement
de la professionnalisation des enseignants :
Le cas des professeurs-stagiaires
en formation initiale
par alternance à l’ISFEC 2nd degré Rhône-Alpes (2016-2018)
Franck GIOL, Docteur en sciences de l’éducation (ECP, Lyon), directeur adjoint du CEPEC
f.giol@cepec.org
Michel SAROUL, Directeur de l’ISFEC 2nd degré Rhône-Alpes,
m.saroul@cepec.org
CEPEC - ISFEC 2nd degré Rhône-Alpes, Lyon-Craponne
Contexte
Le travail de recherche en cours que nous présentons ici s’inscrit dans un contexte historique qu’il convient de rappeler afin de permettre d’en mieux comprendre la provenance, les enjeux et les finalités.
Depuis la publication de l’arrêté du 27 août 2013 fixant le cadre national des formations dispensées au sein des masters « métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation » (MEEF), les lauréats des concours externes ont à effectuer une année de stage en alternance constituée d’un mi-temps d’enseignement et d’un mi-temps de formation. Somme toute récente, et par ailleurs conjointe à la mise en place d’un nouveau Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation (BO du 13 juillet 2013), cette modification des modalités de formation des entrants dans le métier a rouvert un certain nombre des problématiques rencontrées par les professionnels de la formation initiale à partir des années 1980-1990 dans le cadre des IFP comme des IUFM (Condette, 2007).
Le secteur de la formation initiale des enseignants au CEPEC s’est pour sa part d’abord déroulé dans le cadre de l’IFP, puis de I’ISFEC 2nd degré Rhône-Alpes, avec notamment un important travail relatif à l’évaluation par portfolio en partenariat avec l’IUFM de Lyon. Rappelons à ce propos que depuis sa création, le CEPEC s’est particulièrement engagé dans des recherches-actions relatives à l’évaluation : approche par objectifs puis par compétences, formation des élèves à l’auto-évaluation, communication des résultats des évaluations aux partenaires, etc. Par ailleurs, et parallèlement à une réflexion sur l’utilisation du portfolio dans le cadre de la formation professionnelle par alternance des professeurs-stagiaires, un travail a été mené sur le portfolio-élève, et cela particulièrement lors de la mise en place du Cadre européen des langues (CECRL). De fait, ces premières expériences viennent-elles croiser notre actualité, qu’il s’agisse du Livret scolaire unique (LSU) et de l’évaluation du Socle commun, ou encore de la mise en place des nouvelles modalités d’évaluation des enseignants dans le cadre du Parcours professionnel carrière et rémunération (PPCR).
Ainsi, la recherche-action dont nous présentons ici les axes comme les enjeux principaux concerne-t-elle l’élaboration collective d’outils et de procédures afin (1) de favoriser l’évaluation et le développement autonomes des compétences professionnelles des professeurs-stagiaires en alternance, et (2) de permettre un meilleur lien entre qualification et diplôme, entre dimension formative et certificative (Bourdoncle, 1993 ; Scallon, 2004). Notons par ailleurs, mais dès à présent, que cette recherche-action implique nécessairement l’évaluation des différentes Unités d’Enseignement du master 2 MEEF – dont l’UE alternance/mémoire professionnel –, soit la dimension certificative de la formation de professeurs-stagiaires de la formation initiale en alternance (PSTG-FI).
Questionnement
Compte tenu du contexte qui vient d’être rappelé, la problématique qui motive et oriente notre recherche consistera généralement à se demander dans quelle mesure le portfolio peut constituer un outil formatif et certificatif au service du développement de la professionnalisation des professeurs-stagiaires de la formation initiale (Bucheton, 2003 ; Wittorski, 2007).
L’une des difficultés lorsque l’on cherche à définir la notion de portfolio consiste en effet à en déterminer les finalités d’utilisation : le portfolio est-il avant tout un outil formatif ou un moyen de certification ? Dans une logique de formation professionnelle d’adultes en alternance, l’objectif serait ainsi que ce dispositif puisse participer de ces deux fonctions, formative et certificative, de manière complémentaire – cette complémentarité n’allant a priori pas de soi dans la mesure où ces deux fonctions sont généralement dissociées. A cet égard, le fait que la validation d’un master, donc d’un diplôme, soit exigée pour la titularisation des professeurs-stagiaires ne disposant pas d’un niveau bac+5, complique davantage la situation, le système français rendant obligatoire la transformation des acquis en notes. Aussi s’agit-il de déterminer à quelles conditions le portfolio pourrait permettre la construction des compétences professionnelles des professeurs-stagiaires tout en servant d’appui à l’obtention d’un diplôme et à leur certification.
En d’autres termes, et plus précisément, s’agira-t-il ici de chercher à expliquer et à comprendre en quoi l’usage du portfolio permet non seulement aux PSTG-FI d’identifier les compétences professionnelles à développer et améliorer dans le cadre de leur discipline d’enseignement, mais aussi de développer une posture analytique et réflexive quant à leur activité d’enseignement (Vanhulle, 2009 ; Wittorski, 2007) tout en permettant la définition des conditions permettant une prise d’informations nécessaire à la qualification et à la diplomation.
Méthodologie
Au plan général, rappelons tout d’abord que cette recherche-action accompagne la mise en place des masters MEEF, et que la formation les professeurs-stagiaires du master 2 MEEF 2nd degré se décline en différentes entrées, dont la didactique de la discipline (UE1-Didactique). De fait, étant entendu que les pratiques d’évaluation des élèves diffèrent d’une discipline à l’autre, nous avons fait le choix de ne pas imposer un format commun aux portfolios des différentes didactiques. Précisons en outre que ce travail, effectué depuis deux ans, s’enrichit des réflexions des différentes matières et que des points de convergence apparaissent quant à la forme du portfolio et ses modalités de mise en œuvre.
L’objet de cette recherche est principalement construit à partir des portfolios de formation réalisés par les PSTG-FI dans le cadre de l’UE1-Didactique de la maquette de formation du master 2 MEEF 2nd degré Rhône-Alpes. Précisons que ces portfolios de formation ont été élaborés par l’équipe des formateurs en didactique de l’ISFEC 2nd degré Rhône-Alpes en prenant appui sur le Référentiel du métier d’enseignant de 2013 et avec le souci de sa fonctionnalité et de son développement numériques, ainsi que le permet la plate-forme CampusCepec (Moodle). Ainsi notre objet de recherche est-il plus précisément constitué de données écrites extraites des rubriques d’auto-évaluation des portfolios de formation UE1-Didactique des PSTG-FI.
Sur le plan méthodologique, nous procèderons tout d’abord à une catégorisation générale des données de notre objet à partir des réponses écrites des stagiaires dans les différentes rubriques des portfolios, avant de mener une analyse de contenu détaillée à partir des rubriques relatives à l’auto-évaluation (Robert & Bouillaguet, 1997). En second lieu, il s’agira d’inventorier et de comparer les différentes rubriques des portfolios, de formaliser les différentes procédures mises en œuvre par les différentes didactiques pour leur utilisation en distinguant ce qui relève des dimensions formative et certificative. Ainsi, dans une perspective d’affinement qualitatif de l’analyse, conduirons-nous un certain nombre d’entretiens semi-directifs avec des professeurs-stagiaires, des formateurs et des acteurs institutionnels quant au regard qu’ils portent sur les enjeux formatifs et professionnalisant du portfolio lui-même.
Analyse de l’objet de recherche
Cette recherche, initiée en 2016-2017, étant toujours en cours, les résultats de l’analyse de son objet concernent la première étape méthodologique présentée plus haut, et représentent un échantillon qui, sans être exhaustif, permet d’expérimenter et de stabiliser notre démarche d’analyse en faisant ressortir certaines tendances générales que nous chercherons à interpréter après les avoir présentées.
Quelques résultats sur la dimension formative du portfolio : une première illustration
Les résultats que nous présentons ici sont issus de l’analyse de quelques portfolios de formation de professeurs-stagiaires d’histoire-géographie (n=3), d’allemand (n=2) et de lettres modernes (n=2).
Ils concernent plus particulièrement l’autoévaluation réalisée par les professeurs-stagiaires dans deux rubriques en interactions :
- « ce qui m’a posé problème et pourquoi » (problème rencontré) ;
- « ce que j’ai mis en place pour y remédier » (remédiation) ;
et permettent un premier inventaire de ce dont parlent les stagiaires dans leur portfolio.
Les professeurs-stagiaires d’histoire-géographie relèvent principalement des problèmes dans la gestion de classe lors d’activités en sous-groupes (bavardages, grandes différences d’avancées, difficulté de centration sur la tâche). Ils proposent alors d’insister sur la précision des consignes, la méthodologie des activités et l’adoption d’une posture d’accompagnement.
Ceux d’allemand insistent plus particulièrement sur la mise en activité des élèves lors de situations d’enseignement-apprentissage (compréhension écrite d’un texte littéraire, expression orale lors d’un débat) qu’ils proposent de stimuler eux-aussi en précisant davantage les consignes, et en impliquant les élèves dans l’organisation et le déroulement des activités.
Les stagiaires de Lettres modernes ont pour leur part fait ressortir des problèmes liés à la gestion de l’hétérogénéité du groupe-classe (difficulté d’aider tous les élèves, difficulté de sortir d’une posture magistrale) qu’ils ont cherché à résoudre en impliquant les élèves dans l’organisation et le déroulement des activités, et en recourant à des outils permettant de développer l’autonomie des élèves.
Cette première illustration d’une partie de notre analyse permet de renforcer l’hypothèse d’un développement de la réflexivité liée à l’utilisation d’un portfolio et de faire l’hypothèse de sa participation à la construction de la professionnalité. Elle concerne principalement la gestion de la classe – ce qui est souvent le cas pour des enseignants débutants – et fait apparaître des perceptions communes quant aux remédiations mises en œuvre (Clot, 2006) :
- consignes données aux élèves ;
- posture de l’enseignant dans sa classe ;
- implication des élèves dans l’activité.
Outre des différences individuelles, cette analyse permet par ailleurs de faire ressortir des différences liées aux matières, ce qui sera à vérifier dans la seconde étape de notre démarche méthodologique.
Ainsi, bien que les analyses qui précèdent, présentées pour illustration, portent sur un champ somme toute restreint de l’objet de notre recherche, on y perçoit la construction d’un modèle de professionnalité basé généralement sur une mise en activité des élèves, redoublée parfois d’une mise à disposition d’outils et d’un changement de posture de l’enseignant dans une approche pédagogique active que nous pourrions par ailleurs analyser selon le modèle des « gestes professionnels » en termes d’ajustement de posture enseignante, de « pilotage », d’ « étayage » et d’ « atmosphère » (Bucheton, 2011). De plus l’expression par les professeurs-stagiaires des situations problématiques liées à leur métier ainsi que des remédiations possibles confirment l’importance de l’utilisation du portfolio comme dispositif facilitant par le passage à l’écrit la prise de distance et l’analyse des pratiques. (CEPEC, 2014).
Mise en lumière des limites et améliorations envisagées
Assurément non exhaustive, cette recherche devrait pouvoir ouvrir sur un certain nombre d’améliorations relativement au développement de la professionnalisation des professeurs-stagiaires dans les ISFEC, et plus particulièrement sur le plan de leurs compétences d’auto-évaluation et de réflexivité.
De fait, dans la mesure où cette recherche est en cours et se poursuivra en 2017-2018, la récolte des données et leur analyse restent assurément à poursuivre et, dans un souci de triangulation, seront assorties d’entretiens semi-directifs avec des PSTG-FI en formation au CEPEC cette année, mais aussi des formateurs et des acteurs institutionnels. Ainsi, la difficile et pourtant nécessaire articulation de la dimension formative et certificative du portfolio pourra-t-elle être explicitée et mise en question à cette occasion.
Sur le plan des questionnements et perspectives dès à présent ouverts par cette recherche, il apparaît enfin que les notions d’auto-évaluation et de réflexivité devront être précisées en lien avec leur contexte d’exercice (champ d’activité des stagiaires), mais aussi qu’une réflexion devra être menée relativement à la notion de consigne et d’accompagnement (champ d’activité des formateurs et des tuteurs).
Bibliographie
Bourdoncle, R. (1993). « La professionnalisation des enseignants : les limites d’un mythe », Revue française de pédagogie, n°105, p. 83-119.
Bucheton, D. (2011). L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés, Toulouse : Octares éditions.
Bucheton, D. (2003). Le mémoire professionnel des enseignants : observatoire des pratiques et levier pour la formation. Paris : L’Harmattan.
CEPEC (2014). Gestes professionnels et accompagnement des professeurs-stagiaires. Dossier recherche Formiris/Cepec. Paris/Lyon.
Clot, Y. (2006). La fonction psychologique du travail. Paris : Presses Universitaires de France.
Condette, J.-F. (2007). Histoire de la formation des enseignants en France (XIXe-XXe siècles), Paris : L’Harmattan.
Robert A.D. ; Bouillaguet A. (1997). L’analyse de contenu, Paris : Presses Universitaires de France.
Scallon, G. (2004). L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences. Bruxelles : De Boeck.
Vanhulle, S. (2009). Evaluer la professionnalité émergente des futurs enseignants : un pari entre cadres contraignants et tensions formatives. In L. Mottier Lopez, M. Crahay (Ed.) Evaluation en tension (pp. 165-180). Bruxelles : De Boeck.
Wittorski, R. (2007). Professionnalisation et développement professionnel. Paris : L’Harmattan.