L’école inclusive bouscule les pratiques

En dix ans, la loi de 2005 sur l’égalité des chances a provoqué un bond de la scolarisation des élèves en situation de handicap. Devenu légitime, l’accueil de toutes les formes de fragilités dans l’ordinaire de l’école n’en continue pas moins à questionner un système normatif et sélectif. Les équipes travaillent désormais à améliorer la qualité des parcours proposés. Cette recherche stimule une innovation pédagogique profitable à tous.

  

Par Virginie Leray

En dix ans de politique inclusive, depuis la loi de 2005 sur l’égalité des chances, le nombre d’élèves en situation de handicap a doublé. Mais le système a-t-il pour autant intégré une logique inclusive qui interroge ses fondements normatifs et sélectifs ? Les réflexions en cours sur l’évaluation, le redoublement ou le socle commun attestent de ce questionnement grandissant. Sur le terrain, si les mentalités ont profondément changé, l’accueil de la différence a souvent été compliqué.

« À l’entrée en 6e de notre premier élève autiste, en 4e aujourd’hui, nous avons pataugé huit mois avant qu’il ne soit davantage en cours que dans mon bureau, avec des difficultés pour assurer la sécurité et expliquer au groupe pourquoi nous tolérions ses écarts… », se souvient Florence Gaillard, responsable du niveau 6e, à Saint-Dominique, à Mortefontaine (Oise). Tout aussi « déstabilisée », Delphine Heurtaux, enseignante en mathématiques au collège Montesquieu - Sainte-Marie du Havre, a très tôt passé le 2 CA-SH, puis elle s’est employée à « dissiper les inquiétudes et fantasmes liés à la méconnaissance du handicap. Ensuite, j’ai soumis toutes les propositions d’aménagements pédagogiques à la validation de l’inspecteur ». Réaffirmés dans leur rôle de personne ressources – y compris auprès du chef d’établissement – par une récente circulaire (n° 2014-107 du 18 août 2014), les enseignants spécialisés insufflent sans relâche aux équipes cette nécessaire attention à toutes les fragilités. Parmi eux, des enseignants référents explorent les rouages administratifs des MDPH, accompagnent les familles et nouent des partenariats médicaux et éducatifs. Ainsi, une panoplie de sigles et d’outils de suivi a été apprivoisée : du

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PPS au dernier né, ce PAP qui facilite les aménagements pédagogiques d’élèves ne relevant pas des MDPH.

Devenu légitime, l’accueil de tous a déplacé le regard sur la difficulté scolaire. Le rapport Delaubier de 2012, qui lui est consacré, propose d’élargir la notion de besoins éducatifs particuliers à tous les profils d’élèves. Le concept d’intelligences multiples, les alternatives pédagogiques offertes par le numérique ou encore la popularisation de certains troubles ont participé à nourrir cette réflexion.

« Plutôt que d’imputer la difficulté à un manque de volonté ou à une déficience, on recherche ce qui fait obstacle à la compréhension, on travaille l’accessibilité pédagogique. Le cadre du cours commun s’ouvre à des modalités différentes », analyse Christophe Bobiller, enseignant de philosophie au lycée Pasteur-Mont-Roland de Dole (Jura). Travaux en petits groupes de pairs, manipulations, reformulations d’énoncés, variété des supports, voire élaboration de référentiels matière adaptés… Cette différenciation pédagogique, profitable à tous, peut désormais s’appuyer sur les plages de personnalisation ouvertes, de la maternelle à la terminale, par les ateliers pédagogiques complémentaires, l’accompagnement éducatif ou l’aide personnalisée.

Le handicap traduit une inadaptation de l’environnement plutôt que de la personne 

Les plans inclinés du savoir passent également par un panel de compensations imposées par la loi de 2005, qui postule que le handicap traduit une inadaptation de l’environnement plutôt que de la personne qui le porte : usage de l’ordinateur en classe, mise à disposition des cours sur clé USB ou via l’ENT, recours aux textes à trous, logiciels de synthèse vocale… « Degré zéro de l’inclusion, ces adaptations sont encore loin d’être la règle », déplore Aline Blain, qui représente l’Apel à la MDPH de Loire-Atlantique, où « 40 % des contentieux concernent l’école inclusive, avec des problèmes sur le turn-over des AVS qui déboussole les enfants, des refus de passage de classe, des incitations à quitter l’école ordinaire… » Seules des politiques volontaristes d’établissement peuvent changer la donne avec octroi d’heures aux personnes ressources et pour les concertations ainsi que des investissement en équipements et en moyens humains.

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« Ce n’est pas sans questionnement, mais les enseignants jouent le jeu de l’inclusion »

À la Perverie à Nantes, pour que l’Ulis, ouverte à la rentrée 2014, s’inscrive d’emblée dans un collectif, l’établissement a accueilli en mai 2013 la journée « Plus forts Hansemble » organisée par l’Ugsel 44, qui a réuni 250 élèves, dont ceux des Clis et Ulis du département. « Ce n’est pas sans questionnement… mais les enseignants jouent le jeu de l’inclusion. Ils bénéficient du renfort d’étudiants éducateurs et d’AVS-EVS en CDI. Cette dynamique se prolonge dans l’extra-scolaire : voyage linguistique, développement de l’association sportive, tutorat par des lycéens, projet théâtre animé par d’anciens élèves… », détaille Christophe Corda, le directeur.

Ainsi, chaque lancement de Clis ou d’Ulis, à raison d’une quarantaine par an pour l’enseignement catholique, bouscule les établissements et apporte son lot d’innovations, en incitant par exemple au décloisonnement des filières ou des niveaux d’études. D’autant que depuis 2010, les Ulis ménagent plus de temps d’inclusion que les anciennes unités pédagogiques d’intégration. Demain, ce sont les Clis et Segpa, qui sont appelées à s’ouvrir. Déjà deux tiers des élèves en situation de handicap ne fréquentent que des classes ordinaires – contre moins de la moitié en 2000 – et les frontières des dispositifs s’étendent à une logique de parcours. Ainsi, au collège Montesquieu - Sainte-Marie, une seule coordination Ulis de 19,5 heures permet de scolariser en classe ordinaire quarante-quatre élèves en situation de handicap – près de 20 % de l’effectif –grâce au dédoublement de certains cours. Au lycée professionnel La-Mache, à Lyon, « deux classes expérimentales inspirées du modèle finlandais, avec des emplois du temps respectueux des rythmes biologiques, un tutorat enseignant, un coin détente et des modalités d’évaluation revisitées, accueillent un quart à un tiers d’élèves en situation de handicap sans aménagements spécifiques », explique Bernard Javaux, directeur des études, « persuadé que le changement, en marche, s’imposera par capillarité ».

Des classes hors les murs

Reste à étendre cette porosité aux instituts spécialisés, exhortés à faire sortir leurs classes hors des murs. Déjà, à Besançon, dans la Vienne ou les Deux-Sèvres, des Clis ou Ulis bénéficient de partenariats renforcés avec des structures médico-sociales ouvrant sur des mutualisations de moyens, des co-interventions d’éducateurs, voire des possibilités d’inclusions ponctuelles pour des résidents d’IME. « S’il n’est pas fait dans un souci d’économie de moyens, le rapprochement avec la sphère médico-sociale est positif car il nous aide à raisonner sur un projet global pour les jeunes. Il nous permet aussi de bénéficier de co-interventions et d’organiser les scolarités à temps partiel, indispensables à certains. Nous pouvons d’ailleurs nous retrouver en difficulté lorsque des prises en charge extérieures, qui font l’objet de longues listes d’attente, tardent à se mettre en place ou sont refusées par certaines familles », témoigne Isabelle Lainé, enseignante dans une Clis bretonne.

Le décret du 2 avril 2009 permet déjà que des plateformes médico-sociales s’implantent à l’école, sur le modèle des vingt-neuf unités d’enseignement pour autistes ouvertes en maternelle à la rentrée. Une hybridation à risque pour les établissements catholiques. Au-delà d’un transfert de responsabilité problématique, elle pourrait remettre en cause la notion de contrat d’association au cœur de la loi Debré. « Dans l’attente d’une clarification juridique, des alternatives se réfléchissent, notamment avec la cinquantaine de structures spécialisées partageant ou ayant partagé une tutelle commune avec nos établissements et dont les professeurs relèvent de l’enseignement catholique. 

À la rentrée 2014, l’école du Bon-Sauveur, à Albi, a ouvert une nouvelle classe grâce au glissement du poste de l’enseignante de l’hôpital de jour voisin qui a fermé la sienne. Les patients deviennent ainsi des élèves relevant du droit commun et on pousse la logique inclusive jusqu’au bout », commente François Maine, responsable du département BEP-ASH du Sgec, qui accompagne ce mouvement. « Faire profiter les jeunes des vertus thérapeutiques d’un scolaire bien pensé passe par un tissage patient et enrichissant de cultures professionnelles, celle du milieu ordinaire et celle de l’enseignement spécialisé, qui se sont élaborées dans l’opposition », explique Jacques Bouvet, coordonnateur BEP-ASH de la DDEC de Lyon, qui s’emploie à faire bouger les lignes en étudiant les pistes de bascules administratives possibles, et en explorant la voie des conventions de partenariat, en alternative aux classes externalisées que son académie entend développer.

Pour continuer à se déployer sur tous les fronts, la dynamique inclusive doit être portée collectivement. C’est l’un des objectifs du Plan égalité des chances, renommé Plan des réussites éducatives, qui a permis, en cinq ans, d’affecter quelque 170 enseignants à la cause inclusive sur un total de 700 postes redéployés. Aujourd’hui, alors que s’élaborent de nouveaux critères de répartition, axés sur l’accompagnement des fragilités, les responsables ASH diocésains sont invités à être davantage associés au processus de sélection des établissements éligibles. Pour que l’investissement d’acteurs de terrain engagés s’inscrive dans des stratégies communes, que leur effort soit toujours mieux compris et partagé. Ainsi la prise en compte du handicap deviendra-t-elle l’affaire de tous et l’école inclusive un pléonasme.

(1). Pour paraphraser Charles Gardou.

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3 questions à…

Olivier Tranchant, vice-recteur de l’Université catholique de Lille et président de la mission accueil handicap de l’UCL.

 

Où en est l’UCL en matière d’accueil d’étudiants handicapés ?

Olivier Tranchant : En 2007, sur nos 20 000 étudiants, seuls sept étaient en situation de handicap. Une mission accueil handicap, cellule d’échanges de pratiques, a alors engagé un travail de communication en interne et en externe fructueux puisque l’UCL accueille aujourd’hui une centaine d’étudiants. Une vingtaine souffre de handicaps physiques et sensoriels, les autres relèvent plutôt du champ de la dyslexie.

 

Avec quels aménagements ?

O. T : Nous privilégions des réponses pérennes et collectives comme l’acquisition d’une imprimante en braille avec un logiciel de conversion, l’équipement en boucles magnétiques pour malentendants et en postes informatiques adaptés. Pour les difficultés de prise de notes, un système de relais est organisé avec les étudiants. Pour faciliter le suivi et l’aménagement des parcours ou des évaluations, nous avons fait agréer le médecin de l’UCL par la MDPH.

En matière de sensibilisation, nous organisons chaque année une semaine d’animations dans l’université et une journée d’étude pour les étudiants des cursus santé-social.

 

Comment le souci d’inscrire la solidarité avec les plus fragiles s’exprime-t-il dans Humanicité, un quartier de la banlieue lilloise à la création duquel l’UCL a participé ?

O. T : Les îlots d’habitation sont maillés de structures médico-sociales et la mixité sociale et intergénérationnelle a été pensée en amont. Aujourd’hui, l’UCL participe à animer des ateliers de réflexion participatifs sur l’amélioration des conditions de vie. Notre Institut de formation en soins infirmiers a déménagé et adapté son offre de formation aux besoins de l’EHPAD (1) Saint-François-de-Sales qui accueille des personnes âgées sourdes de naissance. En attendant une future cité universitaire qui immergera davantage de nos étudiants dans ce quartier solidaire et citoyen.

 

(1). Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.

Le chiffre

12 % C’est la proportion des élèves en situation de handicap accueillis dans l’enseignement catholique, bien en deçà des 20 % attendus.

Source : DEPP note n° 12-10, mai 2012.

*Glossaire

ASH : Adaptation scolaire et scolarisation des élèves handicapés.

UPI : Unité pédagogique d’intégration.

Ulis : Unité localisée d’inclusion scolaire.

Clis : Classe pour l’inclusion scolaire.

MDPH : Maisons départementales du handicap.

Segpa : Sections d’enseignement général et professionnel adapté.

PPS : Projet personnel de scolarisation.

PAP : Programme d’accompagnement personnalisé.

2 CA-SH : Certificat complémentaire pour les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap

CFG : Certificat de formation générale validant les acquis de fin de 3e

De l’Ulis lycée à l’insertion professionnelle

Traducteurs, cuisiniers, vétérinaires, éducatrice spécialisée, enseignants… Les métiers de leurs rêves se heurtent encore trop souvent à la réalité des diplômes. Mais les jeunes de la passerelle du lycée Saint-Vincent-de-Paul à Paris ne laissent pas tomber. Ils obtiennent qui un CFG, qui un CAP et espèrent tous décrocher, à force de stages, un premier contrat. D’où l’intérêt de ce dispositif monté sur fonds régionaux et qui, après l’Ulis lycée, prolonge leur accompagnement vers l’emploi.

L’explosion des Ulis lycée – de XX à XXX en 5 ans – met en effet au défi de l’insertion professionnelle. Accueillies surtout dans des lycées techniques et professionnels, ces Ulis fonctionnent de plus en plus en réseau pour élargir l’offre de formation proposée aux jeunes. L’expertise d’associations spécialisées leur est souvent indispensable et le temps leur manque pour mener leurs élèves jusqu’au CDI. D’où l’initiative du lycée parisien qui a d’ailleurs aussi inspiré d’autres sas de remise à niveau ou de réorientation professionnelle au sein des cursus médico-sociaux ordinaires de cet établissement. Dans le même esprit, l’académie de Toulouse a professionnalisé l’enseignement des Ulis lycée grâce à un portfolio de compétences facilitant les poursuites d’études et de formation de ces jeunes.

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