Pour une école « soutenante»

Professeur de l’enseignement catholique détachée, Christine Baveux est coordinatrice des études à la Maison de Solenn, site dédié, à Paris, aux pathologies adolescentes et aux questions transculturelles.
Cette enseignante de lettres plaide pour une École qui prenne mieux en compte la dimension humaine.

 

Propos recueillis par Aurélie Sobocinski

Le bien-être des élèves devrait être une préoccupation majeure de l’École, selon vous…

Christine Baveux : Enseignante depuis quarante trois ans au sein de l’enseignement catholique, je me bats pour une prise en compte du bien-être de l’adolescent, même quand il souffre. J’appelle ça le droit d’aller mal. Or l’École a de plus en plus de difficulté à accepter la fragilité, aussi temporaire soit-elle. Prise dans la course à la réussite et à l’insertion professionnelle, elle perd de vue l’épanouissement individuel. C’est la raison de ma présence en tant que coordinatrice des études au sein de la Maison de Solenn(1). Malgré la maladie, ma mission est de donner l’envie à chaque jeune de poursuivre sa scolarité. Le bien-être n’est pas une promesse ou une récompense : il doit être accessible au quotidien.

 

Pour quelle École œuvrez-vous ?


C.B. : J’ai toujours vu en l’École un lieu d’extrême socialisation, où on ne peut pas qu’enseigner. Un élève n’est pas, ou n’est plus, un être que l’on pose sur une chaise, censé écouter, comprendre et apprendre parce qu’on l’a décidé. Comment rester indifférent face à des enfants qui arrivent en souffrance et leur balancer pendant sept heures des connaissances sans prêter un regard à ce qu’ils vivent ? Sans vouloir jouer au psy ou à l’assistante sociale, l’enseignant doit prendre en compte la globalité de l’enfant. Sans chercher à trop materner non plus : il y a une juste distance à garder ! Enseigner, c’est prendre en compte la dimension humaine : on peut connaître leurs difficultés en restant exigeants dans la transmission des connaissances. L’enjeu est de créer une atmosphère « soutenante » qui lève les inhibitions et permette à chacun de croire en son potentiel infini dans son domaine de compétences.

 

Comment créer une atmosphère « soutenante » ?

C.B. : En mettant tout d’abord en place les conditions les meilleures pour les apprentissages. De nombreux enseignants l’ont compris mais ils restent trop seuls. L’institution souffre de deux extrêmes : d’un côté, un hyper élitisme qui ne laisse plus de place au plaisir, à l’imaginaire, mais à une accumulation de connaissances et à un registre unique – celui de l’efficacité et de l’hyper-performance. De l’autre, une dérive tout aussi dangereuse qui voudrait tout faciliter à l’extrême pour l’enfant, en ne l’évaluant plus, en ne lui donnant plus de devoirs… A trop vouloir arrondir les angles, la notion de dépassement de soi s’étiole alors que les jeunes, bien accompagnés, en sont demandeurs !

Vous insistez sur la nécessité de se réapproprier le temps…

C.B. : C’est le sujet numéro 1 de plainte chez les élèves aujourd’hui. Entre l’école où les journées sont parfois très longues, sans compter les devoirs à la maison, et la sur-occupation d’activités choisies souvent par leurs parents - à Paris en tout cas -, ils ont le sentiment ne plus avoir une minute à eux. Il y a urgence à s’adapter à leur rythme et à leur fatigue. On n’imagine jamais assez ces mutations biologiques qui les bouleversent profondément, ce corps qui, même lorsqu’ils sont assis sur une chaise, les fatigue !

L’un des leviers sur lequel l’École peut agir, c’est la question des devoirs. Il apparaît essentiel que ce travail personnel puisse s’effectuer avec des professeurs. Le jeune pourrait ainsi quitter son établissement en ayant du temps devant lui sans culpabiliser !

 

Vous évoquez aussi un autre rapport aux savoirs enseignés. Lequel ?

C.B. : Regardons nos classes : on a des enfants zappeur qui ont du mal à rester concentrés plus d’une heure. Face aux programmes, répétitifs depuis le primaire, combien de collégiens nous expriment leur ennui ! A cela s’ajoute, la multiplication des sources d’information en ligne, tellement plus attirantes et ludiques. Pourtant, les connaissances auxquelles les jeunes ont accès restent superficielles. Même s’ils semblent en savoir plus que nous au même âge, ils ont besoin d’une relation humanisée, dialoguée avec un enseignant pour transformer la connaissance en savoir, alors que très souvent c’est l’approche didactique qui prévaut pour boucler le programme ! Plus inquiétant encore : on ne parle pas assez avec eux du plaisir d’apprendre, ni du sens de ce qu’ils apprennent ! Réenchanter la classe passe par la mise en lien entre les savoirs enseignés et le bien-être, quitte à proposer des spécialisations anticipées au début ou au milieu du collège.

A la Maison des adolescents vous dites avoir développé le lien avec les parents. De quelle manière ?

C.B. : On ne peut travailler avec un jeune sans la famille ! L’expérience montre que dans une collaboration honnête où l’on se dit les choses sans tabous, on finit par débrouiller de nombreuses situations, parfois dramatiques. Pourtant, ce positionnement des adultes ne va pas de soi. Beaucoup de parents apparaissent aujourd’hui plus ados que leurs enfants, cherchant sans arrêt à se mettre à leur place, incapables de soutenir l’enseignant. S’ensuit une méfiance réciproque qui place l’enfant dans des conflits de loyauté qui l’empêchent de se mettre au travail.

Que peut apporter la transdisciplinarité que vous vivez au quotidien avec les équipes médicales ?

C.B. : J’ai découvert à quel point cette alliance des adultes –lorsqu’elle inclue aussi tous les professionnels de champs très différents qui agissent autour de l’enfant – s’avère thérapeutique ! Le jeune ressent alors une grande cohérence et adhère à la démarche. Cela remet l’École au centre de sa vie et non plus la maladie. Il faudrait pouvoir sensibiliser et former davantage les enseignants aujourd’hui à la compréhension de l’adolescence pour mieux envisager toutes ces difficultés que sont les troubles de la concentration, la dépression, la consommation de cannabis, les migraines, les TOC, les angoisses. Et les aider à dédramatiser : un bon enseignant essaie d’emmener tous ses élèves vers la réussite et ne cède pas à la « crainte » de prendre du « retard » dans les programmes. C’est une ligne à tenir, en rappelant que par son identité catholique, notre École accueille tout le monde, y compris ceux qui vont mal !

Au chevet des adolescents

Lorsqu’il s’agit d’aider un ado en souffrance à reprendre souffle et pied dans sa scolarité et par là-même dans sa vie, Christine Baveux, 60 ans, fait voler en éclats les lignes chargées de son agenda. Depuis son premier engagement dans le monde de l’éducation à 19 ans en tant que surveillante dans un collège de Lons-Le-Saunier (39), cette bataille a orienté hors de la classe le parcours de ce professeur de lettres classiques. Détachée de l’enseignement catholique depuis 2004 à la Maison de Solenn – service spécialiste de l’adolescence de l’hôpital Cochin à Paris -, Christine Baveux y assure la mission de coordinatrice des études. A la demande des médecins, elle reçoit près d’un millier de jeunes par an et leurs familles pour étudier leur situation scolaire et leur problématique et contribuer à la construction d’un projet scolaire ou professionnel adapté. Elle a contribué à la rédaction du rapport « Mission bien-être et santé des jeunes », cosigné par le Pr Marie-Rose Moro et l’inspecteur d’académie Jean-Louis Brison, publié en novembre 2016. Elle partage aussi son expérience d’enseignante au cœur du soin, à travers un cycle de formation proposé à l’ISP (Institut supérieur de pédagogie), à Paris.

 

Le site de la Maison de Solenn,

Structure, créée en 2004 au sein du CHU Cochin à Paris, offre des soins en médecine de l'adolescent, psychologie et psychiatrie pour les 11-18 ans,sans limite géographique.
Elle traite aussi des questions transculturelles (enfants de migrants, de couples mixtes...) et de celles de l’adoption internationale.

 

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