La pédagogie coopérative selon Pierre Faure

En immersion dans des classes pratiquant la pédagogie personnalisée et communautaire, des enseignants découvrent comment amener chaque élève à l’autonomie par la confiance.

Par Virginie Leray

Anne Lachèze, directrice de l’école du cours secondaire d’Orsay et présidente de l’AIrap accompagne chacun de ses élèves.
Anne Lachèze, directrice de l’école du cours secondaire d’Orsay et présidente de l’AIrap accompagne chacun de ses élèves. © VL

Le petit chalet en bois, qui sert d’annexe à l’école primaire du Cours secondaire d’Orsay, situé dans la ville du même nom (Essonne), bruit d’une effervescence studieuse. Une quinzaine de stagiaires, venus vivre une semaine d’immersion en pédagogie personnalisée et communautaire, s’y affairent par petits groupes, en autonomie… À l’image des élèves qu’ils ont observés en classe dans la matinée, ils vont et viennent librement, organisent des groupes de travail ou sollicitent les conseils de la formatrice de l’Airap (1) : « En découvrant la classe, l’éventail d’outils pédagogiques faits maison, puis en assistant à l’arrivée échelonnée d’élèves qui se plongent d’eux-mêmes dans le programme qu’ils se sont fixé la veille, j’ai été impressionnée, explique Carole Schenk, professeur des écoles dans un établissement protestant alsacien. Je me suis sentie à la fois émerveillée et sceptique quant aux possibilités de transférer cette pédagogie dans ma classe… Mais, dès le deuxième jour, j’ai eu le déclic, en comprenant qu’il s’agissait d’amener les élèves à construire eux-mêmes leurs apprentissages. Depuis, je réfléchis déjà à la préparation de séquences de cours. »

« L’école active » théorisée après-guerre par le jésuite Pierre Faure autour du libre choix et de la mise en responsabilité des élèves, suscite ce même étonnement chez tous les stagiaires. Au-delà de la proposition d’outils variés et de rituels tels que les temps de mise en commun ou l’attribution de responsabilités à chaque élève – "collectionneur de trousse", "décorateur", "portier", "lanceur d’alerte"… –, cette pédagogie d’inspiration montessorienne invite les enseignants à changer de posture.

« À lâcher prise même, insiste la formatrice, Martine Esclavissat. Rendre les élèves acteurs implique que l’enseignant se recentre sur l’écoute, l’accompagnement et l’observation.

Les enseignants s’approprient en petits groupes l’outil de l’échiquier conçu par le père Faure pour comprendre la mécanique opératoire.
Les enseignants s’approprient en petits groupes l’outil de l’échiquier conçu par le père Faure pour comprendre la mécanique opératoire. © VL
Les élèves qui ont achevé leur tâche en autonomie viennent faire vérifier leur travail par l’enseignante.
Les élèves qui ont achevé leur tâche en autonomie viennent faire vérifier leur travail par l’enseignante. © VL

Il s’agit de faire comprendre des concepts aux élèves via l’expérience afin qu’ils s’approprient véritablement les savoirs et aiguisent leur curiosité, leur envie d’apprendre. » 

« Lâchez prise ! »

En appui à cette démarche, un ingénieux matériel de manipulation, conçu pour amener les élèves à faire par eux-mêmes des « découvertes justes » est mis à disposition: loto des grands nombres, théâtre de la phrase pour mettre en scène l’analyse logique, tableaux de conversion animés… ou encore le grand échiquier coloré qui permet de visualiser les techniques de calcul.

Quatre enseignantes de l’école primaire Enfant-Jésus d’Angoulême se familiarisent justement à son fonctionnement. Comme la pause déjeuner, temps convivial partagé avec l’équipe enseignante de l’école, c’est l’occasion d’intérioriser la dimension communautaire, autre pilier de cette approche éducative. «  La session offre un moment de ressourcement privilégié. Vivre ainsi entre collègues ce climat d’entraide et d’échange favorise le travail d’équipe ultérieur. Une collaboration importante pour nous puisque la pédagogie de Pierre Faure irrigue tout notre projet d’établissement et diffuse dans nos quatorze classes », témoignent les enseignantes charentaises. C’est sans doute le secret de la longévité de cette pédagogie de la confiance : sa fréquentation suscite l’adhésion.

Jusqu’au lycée du Cours secondaire d’Orsay où Christian Hiberty, enseignant de physique-chimie, inspiré par ses collègues du primaire, a inversé sa pratique : « Les élèves lisent, résument et s’approprient le cours à la maison tandis qu’ils s’entraînent sur des exercices de plusieurs niveaux de difficulté en classe, où ils peuvent me solliciter et où j’organise aussi des temps de reprise en commun de certaines notions. »

Levier idéal pour prendre en compte l’hétérogénéité des jeunes, la pédagogie séduit aussi l’enseignante en milieu hospitalier et l’éducateur en foyer de réinsertion qui participent à la formation. « L’élève avance librement dans ses apprentissages, dans un climat attentif à son bien-être et à ses rythmes. L’éducation corporelle qui s’accompagne d’un travail sur la concentration, sur l’intériorité et sur la gestion des émotions participe à l’épanouissement des jeunes. D’ailleurs, nous ne connaissons pas ici ces problèmes de comportement souvent pointés du doigt mais qui ne sont peut-être que le symptôme d’une insatisfaction de l’enfant soumis à de trop fortes contraintes », détaille Anne Lachèze, directrice de l’école du Cours secondaire et présidente de l’Airap. Dernier témoignage incitatif offert aux stagiaires sur les bénéfices d’un climat scolaire serein : l’établissement prépare sans appréhension sa rentrée 2015, marquée par le passage à la semaine de quatre jours et demi et l’ouverture d’une Clis.

(1). Association internationale de recherche et d’animation pédagogique.

LES FORMATIONS DE L’AIRAP

Session d’été

Chaque été, l'association propose une session en immersion. Des apports théoriques y sont illustrés dans des classes (constituées avec les élèves volontaires de l’école d’accueil, voire les enfants des stagiaires) animées par les formateurs de l’Airap.

Session de printemps

Semaine d’observation/immersion dans une école pratiquant la pédagogie personnalisée et communautaire, durant les vacances d’hiver, en général soit à l’école du Cours secondaire d’Orsay (Essonne) soit à l’école Bossuet à Paris.

Interventions sur mesure

Les formateurs de l’Airap assurent une soixantaine de journées de formation intra ou inter établissements. Ils peuvent aussi répondre aux sollicitations de directions diocésaines, comme celle de Loire-Atlantique en 2015.

Coût : 500 € pour les sessions d’une semaine quand elles donnent lieu à une prise en charge de Formiris. Sans celle-ci, le prix peut être négocié et des facilités d’hébergement sont aussi proposées. Un tarif préférentiel est réservé à la dizaine d’établissements partenaires de l’Airap.

Contact : Airap – Mouvement pédagogique Pierre Faure, 78 A rue de Sèvres, 75007 Paris.
Tél. : 01 45 66 87 64 ou par mail : airap@airap.org.

Le site : Airap.

martine-esclavissat-formatrice3 questions à Martine Esclavissat, formatrice

 

Constatez-vous un regain d’intérêt pour la pédagogie personnalisée et communautaire ?

En effet, les instructions officielles prônent la personnalisation des apprentissages. Les futurs enseignants peuvent recevoir, en formation initiale, une sensibilisation à cette pédagogie, comme à l’Isfec parisien Lasalle-Mounier. Ces derniers n’en restent pas moins en recherche de moyens pour l’appliquer en classe. Les demandes de formation augmentent et la pédagogie de Pierre Faure, qui avait été discréditée par quelques dérives, notamment l’oubli de l’aspect communautaire, connaît un renouveau prometteur et commence même à réinvestir le secondaire.

Quelles distinctions avec la pédagogie Montessori ?

Le père Faure a marié les influences de nombreux pédagogues, depuis Montaigne jusqu’à Montessori (2). Si nos classes ressemblent à des classes Montessori, l’accent est mis sur la structuration de la journée via l’introduction de programmations, de plans de travail et de temps de mise en commun. Cela permet de réguler la liberté laissée aux élèves.

Quelle est votre ligne en matière d’évaluation ?

Les élèves accèdent, à leur demande, à des tests individuels pour vérifier leur niveau d’acquisition. Les évaluations normatives pour toute la classe sont programmées bien en amont, avec explicitation des attendus. Tests ou évaluations non réussis peuvent être refaits lorsque l’élève se sent prêt. On obtient ainsi des livrets trimestriels différenciés qui ne se prêtent pas à la comparaison-compétition mais reflètent le cheminement d’un élève qui apprend d’abord pour lui-même.

(2). Pierre Faure s.j., Précurseurs et témoins d’un enseignement personnalisé et communautaire, collection Sciences de l’Éducation, Éditions Don Bosco, Paris.

eca366Issu du magazine Enseignement catholique actualités n° 366, avril - mai 2015, pp. 28-33

À retrouver dans l'ECA n° 366

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