Mission mixités
L’association des chargés de mission de l’enseignement catholique a mis les mixités scolaires au menu de sa session de réflexion annuelle. Cette question, qui s’exprime de manière spécifique dans les établissements privés, gagne à s’appuyer sur l’expertise scientifique autant que sur des stratégies locales concertées. Elle s'enracine surtout dans un impératif "avant tout chrétien" d'accueillir la diversité.
Virginie Leray
« Les bonnes intentions ne suffisent pas et ne suffiront pas… Il est nécessaire, parfois de se retrousser les manches pour faire vivre les mixités dans un enseignement catholique ouvert à tous ! » C’est ce que retient Christian Hurault, président de l’association qui regroupe 83 chargés de mission de l’enseignement catholique (ANCM), d’une session annuelle axée sur la question des mixités à l’école qui s’est tenue les 20 et 21 mars, dans les locaux de la communauté des Lazaristes à Paris. La cinquantaine de participants a particulièrement apprécié le discours introductif adressé par Pascal Balmand, secrétaire général de l’enseignement catholique pour lancer la réflexion. Il y a réaffirmé les fondements ecclésiaux qui étayent cet impératif « avant tout chrétien » d’accueillir la diversité.
La présentation détaillée des travaux qui s’engagent dans ce domaine au sein du réseau a ensuite traduit un volontarisme soucieux d’appuyer cette démarche d’ouverture sur une expertise scientifique et sur une réflexion menée conjointement avec le public.
Un volontarisme d’ailleurs salué par Nathalie Mons, présidente du Cnesco, instance chargée d’évaluer les politiques éducatives de manière à la fois scientifique et participative (associant les praticiens du privé comme du public, collectivités locales, experts étrangers…) : « Votre implication m’est précieuse car faire bouger les lignes des mixités (scolaire, sociale, ethnique…) implique un travail conjoint entre le public et le privé, comme cela avait d’ailleurs déjà été le cas lors de la conférence de consensus de 2015. »
Revenant sur les constats de ségrégation scolaire objectivés à cette occasion, elle a pointé la ségrégation intra-établissement, particulièrement insidieuse, préjudiciable à la mixité comme aux élèves… et répandue. En effet, alors que 85% des chefs d’établissement se déclarent en faveur de la diversité scolaire et sociale, 45% des collèges (publics et privés confondus) comportent des classes de niveau…
Parmi les autres leviers d’une mixité réussie, Natalie Mons a pointé l’importance d’un continuum de diversité entre le primaire et le secondaire et une meilleure communication sur les bénéfices scolaires de la mixité, très importants pour les élèves les plus faibles… mais pas seulement: « Certes les 10% d’élèves les meilleurs améliorent leurs performances dans des classe homogènes, mais ce constat n’est valable que pour la pédagogie classique alors que les méthodes coopératives comme le tutorat apportent une plus-value démontrée pour les élèves tuteurs. Par ailleurs, le bénéfice de la mixité s’exprime autant en termes de résultats académiques que de compétences en matière de citoyenneté, d’adaptabilité, de rapport à l’altérité qui bénéficient aussi aux élèves les plus brillants»
Ce discours reste trop peu audible, « notamment pour des enseignants qui continuent d’évoluer dans une forme scolaire marquée par l’élitisme, malgré une massification d’ampleur –avec des effectif multipliés par 41 en moins de 30 ans- », a insisté Benjamin Moignard, sociologue spécialiste du climat scolaire. Il a aussi souligné l’importance pour les équipes de s’ouvrir aux nouvelles pratiques éducatives : « Améliorer le climat scolaire aide à mieux vivre une diversité authentique qui ne se limite pas à quelques élèves caution et implique une stratégie et territoriale explicite » a –t-il prévenu.
Collaboration en réseaux d'établissement
Comment précisément bâtir ces politiques locales ? Notamment lorsque les travaux du Cnesco mettent en évidence un léger creusement des écarts entre 2013 et 2015 entre établissements privés et publics sur le champ de la mixité, même si la grande diversité des profils d’établissements catholiques complexifie l’analyse fine de la situation. « Tout d’abord en approfondissant une collaboration en réseaux d’établissements qui permette de s’emparer de cette question en prévenant le risque de concurrence inter-établissements », a suggéré Sylvie Da Costa, chercheuse missionnée par le Sgec pour dresser un état des lieux de la mixité dans l’enseignement catholique et proposer des pistes pour l’améliorer.
Parmi les freins exogènes à une mixité accrue dans le privé, Sylvie Da Costa a relevé une forme d’ambiguïté des autorités académiques qui demandent aux établissements privés des efforts en la matière mais s’opposent à leur implantation en zone sensible de peur qu’ils n’y aggravent la ghettoïsation des établissements de secteur en attirant les meilleurs éléments.
Entre autres les leviers, elle identifie « une facilité à travailler en proximité avec les partenaires locaux » et conseille aux établissements de s’appuyer sur « des projets d’établissement valorisant la diversité », sur « les entretiens d’inscription propices aux échanges et à la pédagogie » et sur un effort de mesure objective de la mixité de leur public. Autant de clefs qui seront au cœur d’une recherche-action pilotée par la chercheuse dans le cadre du laboratoire national des initiatives. Sept établissements y sont engagés, pour deux ans, dans un processus d’aller-retour entre leur réalité de terrain et des temps de travail collectifs qui permettra d’affiner un état des lieux des forces, des ressources, des questions et des difficultés rencontrées par chacun. L’objectif final sera de de proposer des pistes d’action raisonnées et adaptées, par exemple sur la composition des classes, justement. Quant à l’ANCM, elle prolonge sa réflexion par un voyage d’étude organisé à l’automne, à l’université portugaise de Coimbra, suite à un programme Erasmus + sur l’interculturalité.