Une école de la réussite pour tous

La question de la capacité des établissements privés à accueillir les enfants issus de milieux populaires a été au cœur de la Convention, grand rassemblement de l'École catholique, qui s'est tenu en juin 2013. Les débats y ont mis en lumière ces établissements catholiques de l'ombre qui font vivre l'option préférentielle pour les pauvres.

Par Aurélie Sobocinski

Jean-Marie Petitclerc, Maryline Baumard et Jean-Yves Rochex ont débattu autour de la problématique de la mixité sociale.
Jean-Marie Petitclerc, Maryline Baumard et Jean-Yves Rochex ont débattu autour de la problématique de la mixité sociale. © Aurélie Sobocinski

Pourquoi la mixité est-elle nécessaire à l’école ? Sur ce sujet, devenu une véritable approche en matière de politique éducative, deux experts ont été réunis au sein d’un débat animé par la journaliste du Monde Maryline Baumard : le chercheur en sciences de l’éducation Jean-Yves Rochex, auteur d’un ouvrage sur la fabrication des inégalités scolaires (1), ainsi que le prêtre salésien Jean-Marie Petitclerc, directeur de l'association Le Valdocco, chargé de mission de 2007 à 2009 au cabinet de la ministre du Logement et de la Ville Christine Boutin.

Études statistiques à l’appui, Jean-Yves Rochex a souhaité d’abord dresser « un état des lieux objectif » : l’enseignement privé, représentant 13 à 15 % des élèves du premier degré et 20 à 21 % du second degré, scolarise 6 % des élèves de l’enseignement spécialisé et 4 % de ceux de Segpa ; il accueille en son sein 28,8 % d’élèves d’origine défavorisée, là où cette proportion s’élève à 40,7 % dans le public. « Les familles qui y ont recours s’avèrent plus favorisées sur le plan socioéconomique et sociologique, constate-t-il. Le phénomène s’accentue dans les grandes concentrations où l’enseignement privé contribue clairement à une polarisation sociale des collèges en particulier. » En cause, selon lui : le non-assujettissement de l’enseignement privé à la politique de la carte scolaire, et l’absence de réflexion sur les leviers qui rendraient le système réellement plus démocratisant et efficace envers les milieux populaires.

L’accueil comme nécessité

En accord avec ces chiffres, Jean-Marie Petitclerc ne s’écarte pas moins profondément des propos du chercheur : « Dans cette question de la mixité, le rôle des pairs et de son impact sur l’ambition scolaire est essentiel. Depuis 30 ans, on assiste dans les quartiers au développement d’une culture de l’entre-pairs qui incite les jeunes à sacrifier leur scolarité au profit de leurs alliances, d’où mon engagement en faveur du busing (2) : il s’agit de réinjecter de la mixité à travers l’éducation. » Pour lui, l’organisation actuelle de la carte scolaire « condamne les gamins des quartiers ». A ses yeux, les ingrédients pour une réussite de chacun tiennent dans la liberté de choix de l’établissement et surtout dans l’adhésion au projet. « A ce titre, il nous faut lutter pour que l’enseignement catholique accueille le plus grand nombre d’enfants de familles modestes. » Or, cette ouverture se heurte à des réalités économiques, rappelle un responsable bordelais, car les écoles ne reçoivent qu’un tiers des forfaits municipaux et parce que la création de nouveaux établissements à proximité des quartiers confine au « parcours d’obstacles ».

« Il y a là une vraie question : faut-il plus de moyens ? Une péréquation est-elle possible ? », interroge Maryline Baumard. « Bien sûr, mais appliquons-la aux grands lycées privés comme publics ! », enjoint Jean-Marie Petitclerc. Un chef d’établissement de Haute-Savoie indique qu’un réel effort de concertation public-privé existe déjà dans les bassins en faveur de cette mixité. Une autre piste est avancée par Jean-Yves Rochex : « Pourquoi ne pas distribuer les moyens en fonction des besoins constatés des populations accueillies ? » Une proposition « que l’enseignement catholique devrait suggérer », considère l’inspecteur général honoraire Bernard Toulemonde, en l’articulant étroitement à « une obligation de projets » au sein des établissements. Pour l’ensemble des participants, ce combat en faveur de la mixité reste aussi « un combat pédagogique ».

(1). Jean-Yves Rochex et Jacques Crinon, La Construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement, Presses universitaires de Rennes, 2011, 214 p., 16 €.

(2). Une organisation de transport scolaire visant à promouvoir la mixité sociale au sein des établissements scolaires.

Verbatim

Maryline Baumard, journaliste au Monde, animatrice des controverses sur la mixité sociale :

« J’étais venue avec en tête la question de savoir si cette assemblée avait au fond réellement envie de plus de mixité dans les établissements. Pour nombre de parents, la réponse est loin d’être évidente. Ce n’était pas le cas de l’auditoire, déjà acquis au fait que la mixité avait des effets positifs sur les résultats scolaires de l’ensemble des élèves. Nous avons pu vivre ainsi un débat de qualité. L’assistance a été un peu chatouillée par des expressions telles que l’embourgeoisement de l’école ou les données statistiques citées par le sociologue Jean-Yves Rochex. Tout le monde n’en était pas moins désireux de se poser réellement la question et d’avancer. Une idée notamment a émergé : celle de traiter collectivement cette question par bassins de vie, au-delà d’un cloisonnement public-privé. »

Le pari de la mixité

Zoom sur ces établissements qui s’investissent en faisant de l’accueil aux exclus et aux plus modestes leur priorité.

 

Collège Sainte-Jeanne-Antide, Sancey-le-Grand (Doubs)

En 2007, ce collège de 83 élèves a mis en place un dispositif de scolarisation ouvert aux jeunes du centre médico-professionnel voisin. Il est fondé sur la réciprocité : du côté des jeunes, il apporte ouverture socioculturelle et sentiment de promotion ; du côté des collégiens, il amène à poser un autre regard sur la différence

Annexe Oscar Roméro, Garges-lès-Gonesse (Val d’Oise)

L’annexe Oscar Roméro n’a rien d’une structure « classique ». L’école et le collège sont logés dans trois pavillons du quartier de l’Argentière, à la lisère de Garges-lès-Gonesse. L’ensemble, fondé autour d’un projet pédagogique individualisé, accueille 70 enfants et adolescents de 18 nationalités différentes, en retard ou en rupture scolaire, exclus des établissements voisins.

A Mantes-la-Jolie, un éveil en maternelle.
A Mantes-la-Jolie, un éveil en maternelle.

Ecole Notre-Dame, Mantes-la-Jolie (Yvelines)

Lorsque l’équipe d’Éveil Mat’Ins a posé ses valises dans le quartier le plus pauvre du Val-Fourré, à Mantes-la-Jolie, leur expérience a connu des débuts difficiles. Aujourd’hui, le soutien périscolaire qu’offrent ces volontaires – actuels ou anciens enseignants et parents de l’école – aux enfants de ce quartier totalement sinistré constitue l’un des rares piliers associatifs locaux.

Au collège Pascal de Roubaix se côtoient des jeunes de cultures et de religions différentes.
Au collège Pascal de Roubaix se côtoient des jeunes de cultures et de religions différentes.

Collège Pascal, Roubaix (Nord)

Au sein du collège Pascal, où se côtoient des jeunes d’origine très modeste, de cultures, d’ethnies et de religions plurielles, Hubert Couvreur, le chef d’établissement, vise depuis 15 ans l’excellence. Afin de motiver les élèves et de souder la communauté éducative, l’établissement a mis en place des « classes à projet » de la 6e à la 3– rugby, handball, maîtrise de chant – qui font la fierté de ses élèves.

Lycée Jean-Paul II, Sartrouville (Yvelines)

À l’origine, la création de ce lycée répondait à un besoin d’établissement. Son implantation en 2009 sur un territoire où l’enseignement catholique demeurait absent a transformé le projet en un pari en faveur de la mixité. Au-delà de la polyvalence des formations proposées, existent un schéma d’organisation transversal et des temps d’enseignement communs pour que l’établissement ne fasse qu’un.

Diocèse d’Angers (Maine-et-Loire)

Cherchant à redéfinir les bases territoriales de l’enseignement catholique de demain, le diocèse d’Angers s’est lancé dans de multiples chantiers d’adossement, de fusion et de reconstruction. Dans ces opérations qui concernent notamment des secteurs défavorisés, la question de la mixité est essentielle : il s’agit d’assurer une présence de l’enseignement catholique en développant des établissements viables.

Apprentis d’Auteuil – Vitagliano, Marseille (Bouches-du-Rhône) et Saint-Pierre, Villeneuve-le-Comte (Seine-et-Marne)

Deux établissements sous tutelle des Apprentis d’Auteuil ont décidé de passer un cap dans le travail sur la transition parfois délicate entre l’école primaire et la 6e. Progressivement, les écoles des apprentissages de Vitagliano, à Marseille, et de Saint-Pierre, à Villeneuve-le-Comte, organisent l’école du socle, via la mise en place de groupes de compétences inter-âges et des échanges de services enseignants entre 1er et 2d degrés.

École Saint-Pierre, Villeneuve-le-Comte (Seine-et-Marne)

L’école Saint-Pierre, près du Val d’Europe, accueille depuis 3 ans 17 enfants de la résidence sociale voisine, intégrés progressivement dans les différents niveaux. L’objectif est de prévenir l’échec de ces enfants aussi doués que les autres, mais à l’univers souvent très éloigné de celui de l’école.

ipermaIperma, Saint-Saulge (Nièvre)

Lorsque les jeunes du collège public de Neuilly-Plaisance débarquent à l’Iperma Saint-Saulge, c’est souvent le choc des cultures dans « cette zone où il n’y a parfois pas de réseau ». Fort d’une longue tradition d’accueil de classe verte, le lycée agricole reçoit chaque année une dizaine de collégiens pour les aider à rattraper et surtout à confirmer leur projet d’orientation professionnelle.

hs-eca-juillet-2015Issu du hors-série du magazine Enseignement catholique actualités de juillet 2015, p 11-13

À retrouver dans le hors-série de juillet

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