Quand les jeunes philosophent entre eux

À l’occasion de la Semaine du Réenchantement, des lycéens de La Merci de Montpellier ont animé une Agora à l'attention des élèves des collèges de son bassin. Cet espace de libre parole et de débats philosophiques, sur l’actualité ou des sujets de société, a été créé il y a plusieurs années, sous l’impulsion d’un élève de terminale et de Jean-Michel Dunand, adjoint en pastorale. Il vise à aider les jeunes à se construire par l’expression et le dialogue.

Noémie Fossey-Sergent

L'Agora de La Merci au collège de l'Assomption ©NFS

« On n’est pas là pour vous faire la morale. On vient créer un échange, alors n’hésitez pas à participer sinon ce sera très long pour vous et très chiant pour nous ! », lance Justine à la cinquantaine de collégiens de l’Assomption, en ce vendredi 8 février au matin. Avec huit autres camarades, lycéens à La Merci pour l’essentiel, cette élève de prépa est venue faire réfléchir et débattre des élèves de 4e sur le harcèlement sexiste, dans le cadre de la Semaine du Réenchantement sur la responsabilité en partage.

« Ça vous évoque quoi le sexisme ? », commence Mathis. Après quelques rires gênés, les langues se délient et l’échange devient sérieux. Les lycéens encouragent leurs cadets à évoquer des situations auxquelles ils auraient assisté ou à dire crûment les insultes qu’ils ont déjà eux-mêmes lancées ou dont ils ont été victimes.

Très cash, l’échange d’une heure devient de plus en plus profond, guidé par les questions des neufs lycéens qui se tiennent devant eux : « Qui n’a jamais traité quelqu’un de pute parmi vous ? », « Est-ce que vous pensez qu’il y a des sports plus adaptés à un sexe qu’à l’autre ? », demande Tristan. « Pourquoi des différences physiologiques deviendraient des discriminations ? », relance Mathis.

"Dans la rivière du doute"

Pour leur intervention auprès d’un deuxième groupe de collégiens, le noyau de lycéens décide de varier la forme en proposant un débat mouvant. « Un garçon envoie un sms à une fille dans lequel il lui dit qu’il la trouve jolie et qu’il est amoureux d’elle. Puis un 2e, un 3e et comme ça tous les jours. Pour vous, c’est du harcèlement ou pas ? », demande Matthias. Selon leur réponse, les collégiens se placent d’un côté ou de l’autre de la salle, voire au milieu « dans la rivière du doute », s’ils hésitent.

Au fil des arguments de chacun, ils peuvent se déplacer et donc changer d’avis. Le jeu fait mouche. « L’intention du garçon n’est pas mauvaise, il est juste amoureux, ça ne peut pas être du harcèlement », plaide un collégien. « Et pourquoi elle ne lui répond pas ? », renchérit un autre. « Mais si elle avait envie qu’il se passe quelque chose, elle lui aurait déjà fait comprendre », estime une jeune fille. Sans jamais poser de jugement, les lycéens passent la parole à chacun.

Cet art du débat, les neufs lycéens et élèves de prépa l’ont acquis pour la plupart au sein de l’Agora, un espace de parole créé il y a plusieurs années au sein du lycée La Merci de Montpellier, sous l’impulsion d’un élève de terminale et de Jean-Michel Dunand, adjoint en pastorale.
Nathalie Fournier-Montgieux, directrice pédagogique du lycée La Merci, a vu le dispositif évoluer « vers une organisation de plus en plus collective ». Si l’équipe pédagogique a d’abord été « vigilante » lors des débuts de l’Agora, les élèves ont rapidement gagné la confiance des adultes de l’établissement. Grâce aussi sans doute « à un terreau particulier au lycée où l’on a une tradition d’expression (conseil de lycéens actif, journées de formation pour les élèves délégués…) ». Pour elle, L’Agora contribue aujourd’hui à créer un climat de dialogue et permet aux adultes de rester en contact avec les préoccupations des élèves.
C'est devenu une institution dans le lycée: chaque mois, sur l’heure du déjeuner, une vingtaine d’élèves de la 2de à la terminale proposent aux élèves de l’établissement un temps de débat où la parole est absolument libre sur un sujet sociétal, d’actualité ou philosophique.

Jean-Michel Dunand, initiateur de l'Agora, passe la parole aux jeunes. ©NFS
Jean-Michel Dunand, initiateur de l'Agora, passe la parole aux jeunes. ©NFS

Confiance et responsabilisation

Un gage de confiance et de responsabilisation exceptionnel de la part de la communauté éducative. « C’est passionnant de voir ces jeunes construire ces agoras, de les voir si matures et respectueux envers les autres », témoigne Jordi Vicens, enseignant de physique-chimie dans l’établissement, et qui participe aux réunions de préparation des débats, « comme observateur », en tenant à garder une place « qui ne vaille ni plus ni moins que celle d’un élève ». « Leur donner la parole aussi librement montre qu’on les responsabilise, et cela joue aussi sur le climat général de l’établissement : il y a moins de tensions me semble-t-il car tout ce qui doit être dit peut être dit. »

Pour la Semaine du Réenchantement, le groupe a proposé exceptionnellement trois agoras (sur les thèmes du sexisme, de la vision de l’échec et du harcèlement) et a eu l’idée d’aller expérimenter cet espace de parole dans deux collèges voisins – L’Assomption et La Providence – autour du thème du harcèlement.

L'Agora de La Merci au collège de la Providence. ©NFS

Un pari pour ces lycéens bien conscients qu’au collège la prise de parole n’est pas évidente, surtout en grand groupe. Et un pas de plus dans la responsabilité partagée. « L’agora, c’est un espace par définition collectif où surgit l’intime et cela nécessite une responsabilité de la part des jeunes, observe Jean-Michel Dunand. Dans le cadre d’un échange entre collégiens, c’est-à-dire avec des plus jeunes qu’eux, les lycéens sont dans un degré supplémentaire de responsabilité. » Cela passe par « une attention au cadre et à être toujours dans la bienveillance », selon Jules, qui gère en coulisse le petit groupe de l’Agora. Mais aussi par le sérieux de leur préparation : Silène, Clara et Pascal, par exemple, sont chargés de réaliser des sondages sur les sujets en amont afin de pouvoir présenter des chiffres précis le jour J.

Au débrief de cette matinée, Simon salue « le courage » des collégiens qui ont témoigné, Mathis s’est dit « impressionné » par la large participation des élèves. Flora, pour sa part, a trouvé cette première particulièrement utile « à un âge où l’on commence à se forger sa propre opinion ». « Ils avaient là un espace pour l’affirmer. »
L’après-midi, une autre équipe de lycéens de l’Agora a proposé le même exercice à deux groupes de collégiens de La Providence. Là encore, le thème du harcèlement a parlé aux jeunes. Avec la même délicatesse et le même enthousiasme, les lycéens ont amené les collégiens à débattre tout en laissant la place à des témoignages poignants. Comme celui de cette élève qui a confié au groupe s’être fait insulter tous les jours pendant 2 mois sur le chemin de son ancien établissement, l’obligeant à abandonner l’idée de poursuivre vers la filière Gestion-Administration qu’elle visait initialement. Elle n’en n’avait jusque-là jamais parlé.
De confidences en débats parfois passionnés, l'après-midi est vite passée. Heureux de cette rencontre avec leurs cadets, les lycéens de l'Agora ressortent enthousiasmés de l'expérience : « C’est épanouissant de faire s’exprimer des gens », conclut Jules.

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