La responsabilité éducative, en mode sensible

Les enseignants du réseau L’Aigle-Ouche, situé dans l’Orne, ont nourri leur réflexion sur la « responsabilité en partage » aux sources de l’imaginaire, des affects et l’engagement, grâce aux interventions du conteur Benoît Choquart et du fondateur de l’association Le Valdocco pour l’insertion des jeunes, Jean-Marie Petitclerc.

Mireille Broussous

 

A l’école Bignon de Mortagne-au-Perche (Orne), une centaine d’enseignants des établissements du réseau L’Aigle-Ouche s’est réunie mercredi 6 février pour aborder la question de la « responsabilité en partage ». « Il ne s’agit pas d’une formation. Cette matinée est conçue comme un moment de pause, de réflexion », explique Stève Lepleux, chef d’établissement du collège Bignon, à l’origine de cette matinée.
Dans le petit amphithéâtre de l’école, les professeurs assistent à deux interventions qui sollicitent aussi bien la réflexion que l’imaginaire.

Ce jour-là, le conteur Benoît Choquart, qui intervient régulièrement dans les écoles du réseau, a carte blanche. Cet ancien enseignant qui s’était orienté vers la pédagogie Freinet fait une lecture originale du ré-enchantement de l’école. « L’école a-t-elle déjà été enchantée ? Personnellement, je n’ai pas de très bons souvenirs de l’école hormis lorsque j’étais à la maternelle… », a-t-il démarré, mêlant tout au long de son intervention souvenirs personnels, contes, lectures de textes libres écrits dans les écoles Freinet et réflexions sur le métier d’enseignant. « Réenchanter l’école tout seul, c’est compliqué. A plusieurs, oui, pourquoi pas ? ».

Pour un collectif qui coopère

Benoît Choquart est à plusieurs reprises revenu sur l’idée du collectif, seul capable de déplacer les montagnes. Comme dans ce conte où le loup ne sait plus quel mouton attraper car le troupeau s’est regroupé et a mis en place une stratégie qui lui permettra de tuer l’agresseur.

Bien souvent, « le loup, c’est l’institution », soutient Benoît Choquart. Elle empêche les enseignants d’assurer au mieux leur mission. Selon elle, à l’école, les enfants comme les enseignants, ne doivent rien dévoiler de leur vie privée. Or, si les textes libres des enfants des écoles Freinet sont si profonds, comme l’un d’entre eux, sur l’alcoolisme et la folie d’une mère, c’est parce que son auteur s’est senti autorisé à évoquer un aspect essentiel de sa vie. Et écrire ce texte, l’a sans doute aidé à y voir plus clair. « C’est cela s’engager auprès des enfants comme le veut l’idée de réenchantement. Mais s’engager, c’est aussi, apprendre à partager ses passions. Combien d’enseignants passionnés de musique n’en ont jamais fait profiter leurs élèves en jouant de leur instrument devant eux ?», s’étonne Benoît Choquart.

Au coeur des apprentissages: les affects

Autre intervention, tout aussi stimulante, celle du prêtre salésien, polytechnicien et éducateur spécialisé, Jean-Marie Petitclerc. Lui aussi défend l’idée qu’il faut répondre aux demandes spécifiques des enfants. « Quand un élève vous prend pour confident, il est impensable de fuir cette responsabilité. Il ne s’agit pas de sortir de son rôle en se transformant en psychologue mais de savoir orienter le jeune auprès des partenaires de l’école ». Plus globalement, pour lui, l’un des problèmes de l’école, c’est que « les affects y sont niés alors qu’ils sont au cœur de l’apprentissage » et que les enseignants « ne sont pas suffisamment formés à décoder ce qu’il se passe dans leur classe ».

 

Le partage interdisciplinaire

Quelles sont les autres responsabilités fondamentales des adultes vis-à-vis des jeunes ? Pour Jean-Marie Petitclerc, il est indispensable d’éduquer tous les jeunes sans exception afin de les préparer à prendre leur place dans la société. Eduquer, c’est aussi délivrer un savoir adapté, c’est-à-dire décloisonné. « Le modèle de l’enseignant-expert qui date du 16ème siècle n’est plus tenable. Les enseignants doivent travailler en interdisciplinarité ».

Mais qu’ils ne s’inquiètent pas, malgré internet, leur rôle reste indispensable. « Internet diffuse des connaissances, pas des savoirs qui sont l’organisation des connaissances. En revanche, dans la double mission des enseignants, transmettre et accompagner, la dimension de coaching ira croissante », prédit Jean-Marie Petitclerc.

Dans les établissements, le problème de l’autorité au sein de chaque classe est souvent lié à un manque de cohérence d’équipe. « L’autorité se partage. Les enseignants doivent respecter les autres disciplines, les façons de travailler des autres membres de l’équipe. Si un professeur de math accueille ses élèves en leur disant, vous aviez musique juste avant, donc vous êtes bien reposés, il n’est pas étonnant que le professeur de musique ait les pires difficultés à faire son cours ».
Autre responsabilité des adultes, aller vers une meilleure articulation de l’école et de l’entreprise afin que le taux de chômage des jeunes en France - l’un des plus élevés d’Europe - diminue. « À mon sens, ce n’est pas aux jeunes de suivre des stages en entreprises mais aux enseignants qui ne connaissent pas d’autres univers que celui très particulier de l’éducation », rigole-t-il. Du coup, ils traitent parfois avec mépris certains secteurs d’activités dont ils ignorent tout, comme le bâtiment, qui évolue sans cesse et recourt quotidiennement aux hautes technologies.
Enfin, il est de la responsabilité des adultes d’apprendre aux élèves la transmission. « Lorsque la moitié d’une classe a de bons résultats et que l’autre cumule les mauvaises notes, c’est que les élèves n’ont pas appris à s’entraider. Or, il est essentiel que chaque enfant prenne conscience qu’il est responsable des autres». Éduquer à la coresponsabilité, développer un véritable esprit de fraternité, « c’est l’urgence absolue », conclut Jean-Marie Petitclerc.

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